« Il n’est pas sûr qu’un dieu comprendrait quelque chose à son règne." Georges Linze.
On aura tout dit ou presque sur la peine de mort. Son champ lexical possède d’ailleurs un large spectre: couloir de la mort, châtiment, bourreau, exécution, guillotine, échafaud, chaise électrique, pendaison, injection létale et bien d’autres occurrences. Tous ces termes auront au moins servi à nous faire apprendre que ces notions servent à distinguer l’humain du monstrueux. Par toutes ses instances et avec beaucoup de brutalité singulière, la jurisprudence continue à se référer au seul code pénal. Ces constatations sont bien moroses; mais le spectacle a quelque chose de cruel. Les exécuteurs se lavent dans le sang démoniaque qu’ils partagent avec les bêtes immondes. Il faut être brutal à le constater. Certes ce n’est pas malin de commencer par l’innommable, mais il importe de savoir que si les lois sont là, les réformes manquent crûment. Des deux dépend le déclin ou le progrès de l’humanité. L’essentiel est dit vertement. Chaque société a sa grandeur et sa misère. Selon un rapport d’Amnesty international, la peine de mort y est appliquée dans trente-trois pays. Selon les chiffres de l’ONU, 170 états ont soit aboli la peine de mort ou introduit un moratoire dont l’utilisation fait jouer la casuistique. L’on sait aussi que L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 4 octobre 1994, une résolution préconisant l’abolition de la peine capitale.Partant, dans d’autres pays et sur d’autres continents, la peine capitale se montre-t-elle préoccupée par des problèmes inhérents à des facteurs qui ne relèvent point de la procédure pénale. Les jeux sont faits d’abord hors des tribunaux. En ce qui concerne les Etats-Unis, où il y aurait tant à faire, la peine de mort est relativement bien acceptée, et cela dans vingt-huit états sur les cinquante que le pays compte. Il semble que celle-ci est mise en sursis depuis l’avènement de la pandémie. Sans être cynique, nous dirons tant mieux ! Dans d’autres pays par contre, soit elle suscite une franche hostilité, soit elle est pratiquée pour des motifs religieux en vertu de la licité de la peine capitale en Islam. Bien entendu, cette référence la justifie amplement dans les pays musulmans. On a beau dire que cette religion respecte la dignité humaine et le caractère sacré de la vie, pourtant on l’applique résolument aux crimes graves. D’après les bases que nous possédons, l’importance des difficultés rencontrées pour s’allier tous les états a été -il y a deux décennies- mise en lumière par l’Union Européenne qui a joué un rôle déterminant pour l’adoption d’une résolution des Nations Unies relative à ce moratoire sur la peine capitale. Nous pouvons noter que l’article 2 de la charte des droits fondamentaux de l’UE, adoptée le 7 décembre 2000, précise que « nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté ». Une journée mondiale contre la peine de mort a été initiée par le même conseil en septembre 2007. Une journée mondiale contre la peine de mort est la bienvenue, mais elle ne résout rien. Elle permet cependant de rappeler que le combat continue et qu’on n’a pas trouvé, à la hauteur de notre civilisation, un moyen adéquat pour l’éradiquer.
Peut-être faudrait-il aller mieux encore à de plus récentes prises de position mettant en cause la peine capitale. Amnesty International monte à chaque fois aux créneaux. Pour elle « la justice ne saurait trouver ses racines dans la vengeance. Le meurtre est inacceptable, qu’il soit le fait d’un individu ou de l’État. Le véritable test quand il s’agit de soutenir la peine de mort ne réside pas dans la volonté d’exécuter, mais dans la capacité à accepter la possibilité de tuer un innocent. »
Dissipons dès alors une équivoque: l’erreur est de croire que les lois qui régissent nos sociétés sont acquises une fois pour toutes; on ne possède pas les institutions, les constitutions comme on détient un bien matériel. Si l’on veut que les règles de la vie sociale et l’idéal humain durement forgés soient respectés, il convient de les défendre contre les facteurs de décadence. Ce qui signifie d’abord de les comprendre, puis les promouvoir en s’efforçant d’éliminer l’erreur et l’équivoque. Les principes ne vivent pas dans l’abstrait ni non plus dans la passivité. Nous possédons d’ores et déjà un arsenal d’outils pour passer à l’action; de moyens de réflexion qui reposent sur des notions essentielles dont le respect de l’homme et de sa dignité. Il s’agit de comprendre, pour notre conscience, ce que le mot abolition implique; un mot auquel les âmes saines sont attachées. On en mesure l’importance lorsque la justice pénale verse dans l’erreur. La pente est glissante. Il suffit d’un retournement du sablier pour sentir fuser la justification au plus profond de la pensée. L’odeur subreptice monte de la nécropole et nous assiège. Et tout à coup nous comprenons que la justice ne s’occupe de rien d’autre que de la violence: oeil pour oeil. Nous ne disposons hélas de nos juges que d’une vision toute animale des faits. La loi du Talion. Dans ce tragique, il y a comme un désir de violence et de vengeance. Dans La Violence et le sacré, René Girard fait remarquer que « la seule vengeance satisfaisante, devant le sang versé, consiste à verser le sang du criminel. Il n’y a pas de différence nette entre l’acte que la vengeance punit et la vengeance elle-même. » (p.31.)
Nous prenons fatalement la mesure de cette assertion et déclarons que tout jugement qui appelle à la peine de mort est un jugement immoral, dégradant, voire inhumain. Il met à mal les valeurs érodées, viole tout simplement le droit à la vie du condamné.
Le cas du Maroc est atypique. Signataire de la charte des Nations Unies, il continue de pratiquer la peine de mort presque en traître. Ce serait aussi aberrant que de le nier. Il n’y a plus point de masque pour le visage de celui qui profère la sentence sans regret, sans aucun remords, sans rédemption possible. Allons-nous redécouvrir par le jugement du cas tragique d’Adnane (Tanger), la taille exacte de la monstruosité de la peine capitale? Ce crime abject va dresser l’oreille au plus secret de notre justice. Le choc est tel que l’opinion crie dans les réseaux sociaux à l’exécution pure et simple du pédophile. Ce crime, fortement relayé par la presse, donne au problème une dimension qui relève de la psychose. La sentence est proclamée avant que la justice n’instruise l’affaire et ne dise son mot. C’est dans ce climat d’émotion et de panique que l’opinion publique se trouve imbriquée, embrigadée.
Pour mesurer toute l’importance de ce phénomène, il convient de s’arrêter sur la question du moratoire accepté et non respecté. L’écueil est de contourner la question de la souveraineté de l’état, la religion, car les politiques pénales au Maroc y relèvent. Nous sommes conscients que les défis ne s'arrêtent pas à l'institution d'un moratoire ou à l'abolition de la peine de mort. Mais commençons d’abord par niveler en profondeur sans pour autant jouer les houspilleurs passionnés. Quid des prisonniers qui hantent les couloirs de la mort de leurs pas perdus quand ils ne subissent pas l’isolement, la torture et l’emprisonnement à vie? Le véritable problème réside là. Il revêt même un caractère urgent. Ce serait faire preuve d’une complaisance abusive de croire que nos prisons sont un modèle dans le genre. Nous aurons alors à charge de créer des conditions humaines qui puissent aider les condamnés à se refaire. Ainsi, notre vocation profonde reste entière. Le droit à la vie est le meilleur garant, sinon le seul contre le meurtre légal. On ne peut que louer la teneur de ce moratoire dont on soupçonne toute l’importance. Mais ne nous faisons pas trop d’illusion et ne traitons pas de visionnaires ceux qui demandent à l’Etat d’honorer ses engagements; ceux-là mêmes qui croient sincèrement à l’abolition de la peine capitale.
Ces réserves faites, il s’agit de constater in fine ce qui restera de cette initiative à laquelle nous souscrivons fermement. Quels points de vue seront confirmés? Quelles orientations vont révéler les textes? Quelles voies s’ouvriront ou s’imposeront dans cet ouvrage collectif?
Le dernier mot est encore à venir. Pour le moment, la réalité nous saute à la gorge. Elle baigne dans un discours qui désigne et réduit. Ces obstacles sont-ils les seuls? Et même sont-ils aisés à contourner, à renverser? La réponse est oui. Encore faut-il que la morale n’ait pas encore dévoré les âmes et les corps. Ce qui est sûr, c’est que les tenants de l’abolition ne semblent pas avoir épuisé le meilleur d’eux-mêmes. Seuls les esprits désespérément agrippés à une société où on ne s’invente plus, continuent à y prononcer leur inspiration souffreteuse qui, à force, vire vers un tissu de prétextes. Il est temps d’arracher un à un les masques derrière lesquels ils se terrent. Ceci dit, le moratoire est-il à la hauteur de son projet et de son objet? Est-ce bien dans cette direction qu’il faut aller pour en finir avec la peine capitale? Il est bien difficile de répondre tout de suite à ces questions, car elles échappent à notre volonté. Mais c’est par référence à ce moratoire au délai incertain qu’on appelle de tous nos voeux les hautes instances à le respecter, car il court des bruits qui ne sont pas rassurants. Osons nous interroger ouvertement sur cette question au lieu de rôder à la périphérie du problème! Remuons-nous avant que l’ogre n’invente d’autres systèmes de déviation! Restons ouverts au temps qui vient, et traçons un chemin ferme que chacun suivra d’un pas décidé; un pas qui ne vacillera point. Notre vocation profonde doit rester entière. Elle croit au droit à la vie qui est le meilleur garant, sinon le seul contre le meurtre légal. Concluons avec ce précieux raccourcis: ou l’aveuglement persistera ou la lucidité l’emportera!
* Texte paru dans un ouvrage collectif publié par La Croisée des Chemins sous le titre: Le Droit de vivre.