on aime parfois le pittoresque d’une cité, ses gens, son climat. je l’ai connue lors de mon premier séjour sous l’embrun, les nuages, la brume et l’embellie qui se succédaient nonchalamment avant d’être menacés par une lumière qui a fini par les pénétrer, les avaler. j’étais tellement épris de heidelberg que j’avais la sensation d’être la chlorophylle qui coulait dans ses veines. plonger dans cette atmosphère si enchantée m’avait semblé soeur de la vibration du monde. on ne pouvait que souhaiter d’y vivre. laissons plus de place au rêve!
j’admirais hölderlin. souvent, je l’imaginais à tübingen, échappant de sa tour l’esprit confus, cheminant derrière un visage passé à la veloutine, fermé, ni souriant ni triste qu’il crut être celui de sa diotima. l’innocence et la pureté dans le cœur du poète, marchant et ne se posant plus de questions. le désir et les illusions s’étaient évanouis dans ses yeux qu’il promena une dernière fois sur le neckar. les pas brûlants, il entendit de l’autre bout du pont le son de la voix de fraü gontard le héler d’outre-tombe. il surmonta la tentation de la rejoindre sur l’alte brücke, mais dans sa folie, il savait qu’il avait perdu à jamais celle qui fut le centre de son tropisme amoureux.
un vieux rêve… j’empruntais le chemin des philosophes pensant retrouver dans le sillage de lou salomé, les charmes discrets de toutes les muses aux voix flûtées. les surexcitations apaisées des sens, je me suis assis sur un banc. j’imaginai alors nietzsche, le grand errant, sortant du leurre de la supériorité absolue pour dire que dieu existe avant de disparaître dans l’énigmatique déluge qu’il s’était assigné comme fin dernière. voilà encore un fou qui s’ignore, me suis-je dis. la démonstration étant faite dans les traces lisibles et le souffle rédempteur de lou, dans l’éternelle virginité des mères.. tous les amis prestigieux s’étaient rassemblés pour célébrer l’algarade, hormis un poète à l’humeur pudique, rilke pour ne pas le nommer, venu enfouir le silence de ses peines. il apprit à lou qu’il avait arrêté d’écrire expliquant que la vie étant un bûcher, et que même le plus armé n’arriverait à trouver un registre pour atténuer la lourde charge qui pèse sur sa nuque. un lichen incroyablement adhésif souda ses lèvres. il reprit sa route, guidé par on ne sait quel instinct. j’eus le sentiment que le plus profond de lui restait encore enfoui.
je me suis alors levé tel un épicéa aux cônes à port retombant, les yeux rivés sur les sommets de la montagne, couverte d’une brume lumineuse. je tendis l’oreille, épiant une étrange présence. c’était le maître des pendules à coucou, venu remonter le mécanisme et déplacer les aiguilles. l’heure du réveil sonna dans ma tête. heidelberg n’est pas complaisante à la rêverie facile, mais ouvre une frontière intime aux âmes qui savent s’éveiller entre deux rêves.