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L'Olympia. 28 Mai 1979.


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L'Olympia. 28 Mai 1979

Mon premier Olympia....(n'allons pas plus vite que la musique! En tant que spectateur s'entend), je l'ai vécu comme une action de grâce faite à un jeune homme qui pouvait, pour une fois, s’offrir le luxe sans dépenser un rond. Les deux tickets qui m'avaient été offerts pour le concert de José Feliciano, je les devais à Gaetan Cohic et Sylvie Hay ( attachée de presse à TF1), des amies que je connaissais intimement. Je ne pouvais trouver une occasion meilleure vu l’état de ma « fortune » car il m'arrivait d'arpenter le boulevard des Capucines, et souvent je m'arrêtais devant cette salle légendaire, absolument frustré. Je m'approchais à petits pas de ce lieu mythique, ce temple du music-hall où je ne pouvais jamais aller en temps normal, ce lieu où la place la moins chère coûterait la peau des fesses à l’étudiant que j’étais. Au fait, bêtement, mon rêve consistait de voir la scène où la Diva Oum Keltoum avait donné deux concerts en 1967. Une anecdote avait fuité à propos du récital qu'elle devait donner. Jean-Michel Boris, le directeur, avait demandé -comme il était de coutume- combien de chansons la Diva comptait offrir à son public? Une, peut-être deux selon les rappels, lui avait-on rétorqué. Il était estomaqué. "On ne fait pas déplacer les princes d'Arabie et tout ce monde pour une chanson, martelait-il." M. Boris n'avait aucune idée de la longueur de certaines chansons qui pouvaient durer parfois plus d’une heure. La salle était comble, et on refusait du beau-monde à l'entrée. De mémoire de manager, on n'a jamais vu une file pareille. Des hommes, des femmes, des couples prêts à payer une fortune pour être de l’évènement. C’est du moins ce qu’avait rapporté la presse, le lendemain du concert, pointant la performance de la Diva.
Autres temps, autres moeurs. Deux places royales en main, j’avais téléphoné à un ami d'enfance pour l’inviter au spectacle. Il avait tiqué quand je lui avais annoncé le nom de l’artiste. Mais une telle invitation ne se refusait pas. José Feliciano n'avait pas l'aura et le charisme de la Diva. Il avait certes ses fans, mais sa musique n'a jamais été ma tasse de thé. Je n'aimais ni sa voix ni son style. Youssef, non plus d'ailleurs. Nous sommes rentrés bravement, un peu déçus par la programmation, mais c'était la salle que nous étions venus voir. Cette salle emblématique dominée par un espace scénique impressionnant et une capacité assise importante, des orchestres, des balcons, des mezzanines. L’ambiance ce soir-là était bien loin d’être celle des trois salles que nous fréquentions adolescents, dans notre ville natale: le Majestic, le Colisée et puis l'Atlas. De petites salles, à la dimension de la ville, mais pleines de magie. Les premiers péplums que nous avions vus, résonnaient encore en nous comme un grand fracas. Ce fut une révélation où le rêve nous emportait très loin tantôt dans les grands espaces américains d’où émanait une beauté profonde, tantôt dans d’autres où l’intimité fragile des hommes accentuait la solitude face aux déchaînements des éléments. Ce cinéma traduisait l’infinie diversité du réel concret en images. C’était un cinéma sans transgression, et l’on avait attendu longtemps pour avoir d’autres approches fondant une autre phénoménologie. « Chaque art veut produire les effets des autres », disait Nietzsche. Et rien ne peut contredire cette évidence: la matière du livre est le mot, celle du film l’image.
Ce soir du 28 Mai 79 à l’Olympia, nous étions éblouis par une autre lumière, par d’autres images et l'atmosphère qui y dominait. Ce que j'ai aimé en dehors de l'acoustique, c'était la proximité avec l'artiste. Nos sièges au carré d’or étaient à deux mètres de la scène. José Feliciano à la guitare, les yeux cachés derrière des lunettes noires, assis sur un tabouret, balançant ses standards. À son grain sonore, j’étais comme sourd car tous mes sens étaient ailleurs. À la place où il se tenait, je voyais la Diva debout dans sa robe verte, tenant son « mindile » dans la main, enflammant la salle qui répétait après elle, au bord de la transe, ses divins refrains. Et c'est le seul souvenir qui me vient à l'esprit chaque fois que je me rappelle mon premier Olympia qui fut aussi mon dernier. Le spectacle s’est terminé avec les applaudissements du public et ses rappels. Cela m'a fait pensé à mon vrai premier concert de l'Île de White, moins l’hystérie qui y régnait. L’immense foule venue des quatre coins de la terre était en communion parfaite avec les musiciens présents. Un autre univers, un autre concert pour lequel j'avais quitté le lycée bien avant la fin de l'année scolaire; une fugue si mémorable qu'elle dura deux années de vadrouille partagées entre quelques capitales européennes. Une autre époque, un autre passé écrit pour l’éternité; un passé avec ses zones d’ombres, ses fissures, ses abîmes; un passé composé de joie et d’insouciance aussi; si vertigineux qu’il ne me faudra réveiller qu’à l’heure du trépas.

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