Artiste et professeur d'arts plastiques, El Houssaine Mimouni est l'un des meilleurs ambassadeurs de la peinture marocaine contemporaine. Fidèle à ses origines, sa peinture exsude de signes et de symboles la liant irrémédiablement à un substratum marocain qui se veut le reflet de valeurs auxquelles il continue de croire.
Jackson Pollock rapporte qu’un critique d'art avait mal jugé ses tableaux, ne leur trouvant "ni commencement ni fin". La formule avait quelque chose de provocant dans sa manière de rabaisser la technique du dripping/pouring et le processus pictural qui la soutient. Le critique était loin de savoir qu'il faisait au peintre un très grand compliment.
Présenter un artiste, étudier son oeuvre, percer l'enthousiasme qui peut inspirer son travail est sans doute une tâche qui n'est pas aisée. La voie royale serait de se laisser emporter par l'oeuvre en y déposant un regard vierge et de céder à la pénétration de ce qui est indistinct! Ce moment précieux ne s'accomplit que dans la jouissance anticipée qui vient de l'en-deçà de toute représentation, hors de l'abri de toute signification.
Le choix plastique d'El Houssaine Mimouni n'est pas un fruit de hasard qui laisse entrer les chemins de l'inconnu dans les oeuvres. Le trait est dicté par l'investigation sensorielle qui fait jouer une géométrie simplifiée, plus sentie que calculée. Il y a comme une vigueur qui donne à voir un mélange d'émotions qui émane de la relation qui découle du rapport de l'aspect représenté et l'effet qu'il produit. La lumière, le chromatisme, les signes relèvent de la perception optique avant de la libérer de connotations pour la laisser agir seule, par ses propres moyens sur l'esprit. Il y a dans ce parcours un acheminement nécessaire du soi vers la genèse de l'être. L'artiste en fait ici l'expérience, et sa gravitation ne peut être que cyclique, passant par une renaissance de soi au monde et du monde à l'écran de soi retrouvé.
Mimouni a choisi une peinture délestée de tout empâtement, dépouillée dans sa grammaire. Il nous donne en partage une oeuvre qui sait repousser par une austérité voulue, les volutes, le nébuleux, dispensant les pinceaux de toute préciosité. Fuyant la profusion, il met toute sa gloire dans une simplicité qui fait le corps de sa production. Ce dépouillement n'est pas une mutilation, il est simple retour à un minimalisme qui lui apparaît sans nul doute indispensable. On pense à Tapiès, à sa graphie, à son entrain, sa finitude parfois comparables. Ce labeur audacieux l'emmène à réduire les effets, et partant à s'émonder lui-même dans le but d'écouler sa voix débarrassée des fioritures ornementales qui peuvent l'alourdir. De cette sobriété émerge une inflexion intrinsèque, celle d’une légèreté nomade qui justifie par sa mouvance, la raison même de l'oeuvre. Mimouni y aperçoit un moyen de conduire sa pensée vers ce qui est absolument et nécessairement fondamental: révéler un tropisme existentiel, formulé dans une polyphonie narrative où les référents multiples et variés sous-tendent le projet. C'est là un mérite qui n'est point mince.
L'artiste reste fidèle à sa démarche. Il n'a pas besoin de forcer son talent. Les moyens mis en oeuvre, renforcés par un chromatisme "ascétique" rappelle l'espace originel. Ainsi, l'ocre, la terre de sienne y sont souverains, et le trait un peu sec, mais cela ne nous prive pas de ce permanent ressourcement qui lui est à charge par delà la mémoire, s'inscrivant contre toute forme d'effacement. La grâce, l'élégance, l'allégorie, la lumière qui éclairent certaines compositions, donnent à son ouvrage une valeur exceptionnelle. On ne peut lui reprocher de s'enfermer dans des toponymes re-visités, d'arpenter les mêmes sentiers, de tourner dans les mêmes sujets. Ces sujets-là ont leur importance. Ils sont à la base d'une isotopie qui fait actionner des rébus, des échelles qui pourraient n'avoir là aucune valeur plastique. Mais la symbolique l'emporte, repousse énergiquement tout ce qui ne peut aider à l'élévation. Je serais tenté d'apparenter son travail -sans le réduire- aux graphèmes qui essaiment dans l'art préhistorique: pictogrammes, idéogrammes, psychodrames. Ce langage visuel constitue à lui seul une syntaxe d'un art qui interpelle les sens. Mimouni mérite d'être loué sous ce rapport, quoique son originalité soit manifestement bien autre, travaillée et réfléchie. L'artiste n'aura de cesse de fixer dans son palimpseste, des lieux dits, faisant susurrer l'ineffable en aval d'un temps qui refuse l'oubli et la perte de repères. Inlassablement, patiemment, il reconstitue de mémoire et d'imagination à même l'amincissement du support. L'iconographie et le symbolisme des couleurs qu'il porte en lui sont ici savamment contrebalancés. Ils rappellent mais ne trahissent rien. Ils suggèrent sans trop donner à voir. Voilà pourquoi cette oeuvre retient par sa magie. L'inaltérable en elle l'épargne pour éterniser avec elle le souvenir d'un paradis perdu qu'on pourrait lire comme l'esquisse d'une page d'histoire aussi fragmentaire qu'elle soit. Et l'art ici sert le dévoilement feutré qui fait sourdre une sonorité à nulle autre pareille.
Peintre de l'inaudible, il récapitule les traits trop saillants, biffe, restitue puis défait l'inaccessible. A la fois architecte, poète et musicien, il réalise des variations, arrache à la structure de la matière ses particules pleines de mystère et de surprises. De cette lutte naissent des possibilités expressives insoupçonnées. Quoiqu'il puisse donner en partage, Mimouni ne cède jamais au péché formel, celui-là même qui s'attarde sur les détails qui fatiguent. Sa peinture s'apparente à un champ de fouilles dont les contours s'effritent à l'étude. Elle nous retient cependant par la lenteur et la divine sourdine, par la détente de ses variations de tons, par la pulsation de ses motifs qui ne cessent de nous rappeler la continuité mobile du temps où se chante une parole suspendue, en perpétuelle interprétation. L'artiste représente tel qu'il sent un dire originel qui nous fait l'effet d'un jaillissement primordial, inscrit aux antipodes d'un onirisme passif, laissant dans son sillage une plénitude insatisfaite de son royaume. Ceux parmi nous qui ne voient dans les tableaux de cet artiste que des surfaces décrépis nous font penser à ce proverbe chinois: "Lorsque le sage désigne la lune, l'idiot regarde le doigt, le présomptueux ravi regarde la lune cessant ainsi d'importuner le sage dans les deux cas".