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ZAGHLOUL MORSY


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ZAGHLOUL MORSY (Marrakech 1933/ Beaufour, 9 juillet 2020)

Zaghloul Morsy n'a pour mystère que d'être poète. M’accordera-t-on qu'il est aussi romancier. Mais c'est sa poésie qui révèle le mieux sa vérité intérieure. En dépit d'une certaine préciosité et d'une ondulation d'écriture subtile, l'accent de cette poésie atteste la présence d'un véritable poète. ni délire ni incohérence, Morsy montre même une certaine autorité. Ses vers échappant à toute opacité; restent transparents, et leur netteté est cristalline. Il est de toute évidence un poète doué. Dès la première oeuvre, « D’ un Soleil réticent", on entrevoit le travail qui s'opère dans l'émerveillement et la surprise. N’est-ce pas qu’il tranchait avec les autres poètes de sa génération, s'exprimant en une forme hors de toute confusion. Son oeuvre, patiente et solide, brillant d'un éclat rare, ne peut trouver son compte qu'avec le lecteur infatigable et impénitent. À certains égards, elle met en place un art poétique continuellement dans la relance. Et c'est par là que le poète est prodigieux. Cette oeuvre est hautaine, somptueuse et pure, mérite l’admiration. Morsy sait, combien la pudeur ajoute de charme à toute véritable poésie et combien il faut se méfier des bateleurs et des théoriciens. S’il a atteint la force, c’est tout naturellement par les moyens les plus simples, par la sincérité vibrante et fraternellement humaine de ses vers. Le poète connaît les ressources de son art. Aucun confrère de sa génération ne mêle déjà aussi bien que lui les mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience. Comment ne pas évoquer la lettre de Baudelaire à Arsène Houssaye, alors directeur de la revue L’Artiste: « Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements de la conscience? » Dans son dernier recueil, La Pente, les Crépuscules, l’adéquation du langage à une expérience trop riche est plus évidente. Les mots restent des relais, d’infimes points visibles sur une ligne continue et pourtant invisible. Et tel est bien, le rôle dévolu au langage, dans la poétique de Morsy, cet humaniste qui ressentait mieux que personne un besoin de représenter les choses humaines. Entre son être intime et le monde, un dialogue sans fin se déploie, toujours prêt à recommencer, à s’inscrire dans une poésie qui demeure avant tout une forme de transcendance. Elle s’adresse directement à l’imagination, sans recourir à aucune image. Elle élève, transporte. Le poète explore l'idée d'une relation profonde et continue entre l'individu et le monde extérieur, une relation qui ne se limite pas à la simple interaction physique ou intellectuelle, mais qui s'inscrit dans une dimension plus abstraite et spirituelle. Le « moi » ici représente l'âme ou la conscience individuelle, tandis que le « monde » incarne tout ce qui est extérieur, à la fois réel et symbolique. Morsy met en lumière une relation constante, un mouvement qui va au-delà du temps et qui invite l’individu à « recommencer ». Chaque instant devient ainsi une invitation à redécouvrir, à renouveler cette relation, comme si chaque acte poétique était une forme de renaissance. La poésie dans ce contexte dépasse les limites de la rationalité et de la perception sensorielle pour atteindre des sphères plus élevées, plus subtiles. Elle n'est pas simplement une forme d'art esthétique, mais un chemin vers une réalité supérieure, un état d’être où la compréhension s’élargit au-delà des images et des mots. Cette poésie est donc une forme de dépassement, de quête spirituelle, qui invite à l’élévation intérieure. J’avais pour cet homme une fervente et affectueuse admiration. J’ai eu l’indéfectible bonheur de le rencontrer à Paris. Il m’avait donné rendez-vous au coin de la rue où il habitait dans Montparnasse. Je pense qu’il était encore en fonction à l’UNESCO. Tout de suite, il avait remarqué mon trouble et ma timidité derrière mes Ray Ban. Lorsqu’il eut appris que je m’intéressais à sa poésie, Il partit dans un discours et je fus littéralement embarqué sans la moindre halte pour lui donner l’échange. Il enfila sur la ville ocre dont il est originaire avec beaucoup d’aise et une nostalgie qu'il avait du mal à dissimuler. J’ai découvert qu'il avait un très grand besoin d'expression qui venait de son attachement au pays. Morsy m’avait paru ce jour-là impitoyablement fidèle aux sources vives, celles qu'on entretient secrètement en nous. En cette âme d’où montaient tant de choses apaisées, on pouvait percevoir une secrète fêlure. sa voix, si accordée au souffle s’élevait pour témoigner de l’heure des souvenirs, et la rumeur qui lui parvenait, était heureuse me semblait-il. La nostalgie l’avait pris, et il ne pouvait s’y dérober. Il resta courtois et cérémonieux à la fois, retrouvant sa sérénité en parlant de sa vie parisienne et de son second recueil, « Gués du Temps » que j’avais dévoré la veille de notre rencontre et qu’il m’a gentiment dédicacé; un recueil dont l’ordonnance est parfaite: tous les poèmes s’en organisent en un ensemble cohérent. la langue est savamment inventée. et cela n’exclue ni l’émotion ni la sensibilité. La louange de la vie chante avec tout ce qu’elle a d’intime. Et la musique des poèmes est plus captivante en sa grâce mystérieuse. Morsy est un musicien à l’écho secret, legs probablement venu de son père. Et ce n’est pas hasard d’avoir titré un poème « Cry me a river », un standard de jazz américain signé par Arthur Hamilton, chanté pour la première fois par Julie London en 1955, repris par Ella Fitzgerald qui en donna une version stupéfiante. Dans ce recueil, Morsy a su construire un langage dense, où chaque mot semble pesé, poli comme un diamant. Il vise une métaphore qui embrasse à la fois l’un et le multiple, en s’inspirant notamment de la philosophie d’Héraclite: le réel, la langue et l’identité y sont des entités en constante transformation, donnés dans des vers qui expriment un sentiment d’incomplétude, mais aussi d’aspiration à un absolu. L’écriture devient alors un cheminement mystique et un parcours intérieur que le lecteur est invité à vivre. Morsy demeure pour moi un poète habité par une certitude tout à fait solaire. Il sait mesurer et apprécier la vertu poétique jusqu’à créer chez son lecteur un état poétique au sens que lui donne Paul Valéry. La magie est là, se tenant depuis quelques années dans une réserve rare, je lui avais glissé dans la conversation que je préparais un essai sur la poésie marocaine de langue française pour les Éditions Shenna-Nizet, chapeauté par l'université de Bari (Italie), il eut un sursaut. Un mois plus tard, il m’envoie une lettre exquise, m’encourageant pour mon travail en me gratifiant de quelques inédits, écrits à cet effet: des poèmes qui ont la pure fluidité de l'onde. Morsy tranchait avec les poètes retenus pour mon travail, s'exprimant en une forme hors de toute confusion. il ressentait mieux que tous les autres un besoin de représenter les choses humaines. J’ai relu ses lettres et toute son oeuvre dernièrement et c’est merveille.

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