JOSÉ CORTI.
Les belles âmes ne vieillissent jamais. José Corti était sûrement un être chaleureux, en parfait accord avec son univers. Je lui trouvais du charisme et de l'élégance intellectuelle. Il était quelqu'un d'authentique, un homme que j'aimais sans jamais lui avoir parlé. Ses auteurs retenaient toujours l'attention (il en avait un fleuron, presque un collège, au sens médiéval du terme). Que de belles rencontres n'avait-il pas croisées ou suscitées! Loin du bruit mercantile des autres éditeurs de la place, il menait sa petite maison d'édition, à son rythme, sans tambourinage, dans le calme et la sérénité. J'étais convaincu qu'il avait ouvert une voie pour un autre langage, celui-là même qui a su toucher les lecteurs plus profondément et voluptueusement. Son officine, un peu artisanale avait à mes yeux de lecteur plus de valeur par la qualité de sa production.
Corti aimait son domaine d'un amour tel qu'il lui a sacrifié toute son énergie, regardant le monde au miroir des écrivains selon son coeur, et des livres qu'il a publiés. Je le voyais soit seul, soit en communion avec quelqu'un. Je l'imaginais prêt à relever le défi pour publier tel auteur, fut-il à tous ses débuts, et cela malgré le manque de moyens et des subventions.
Corti prenait son temps, voilà tout. Prêt à défendre ses choix, à faire valoir ses ouvrages dont il savait mesurer l'ampleur. Et il le faisait avec passion.
Voilà pourquoi il était respecté par ses auteurs, dans la corporation et au-delà.
Chaque fois que j'empruntais la rue Médicis, je m'arrêtais devant sa vitrine au style d'un autre âge. Les molles lueurs de l'intérieur faisaient de cet endroit un temple. Assis derrière son bureau, il avait toujours la tête sous une lampe de lecture, vissée sur un livre ou un manuscrit. Je refusais de céder à ce lâche qui murmurait en moi: "Pousse la porte, dis bonjour à cette belle âme." J'aurais été ravi de gloser quelques minutes avec lui. Mais l'homme intimidait. J'avais fini par pousser cette "lourde" un jour, les yeux rivés sur les livres disposés sur les tables et les étagères: des Bachelard, des Cortázar, des Pessoa, des Schiller, des Yeats et bien d'autres. Une espèce de collage de têtes bien pensantes. On doit à la sensibilité de l'éditeur cette préciosité. Un ouvrage avait attiré particulièrement mon attention, séduit probablement par le titre: 'Un Balcon en forêt.' C'est beaucoup plus l'aspect surréaliste qui m'avait absorbé. Alors que je considérais la volupté du papier, la couverture blanche couleur de lait caillé, une voix derrière moi s'était exclamée, douce et pénétrante, me disant que Julien Gracq était un bon choix. J'ai dit merci sans me retourner.