L’oeuvre poétique d’Édouard Maunick a pris la forme de son destin. Il en était la trace vivante et l’intériorisait. Elle lui tenait lieu de tout. Et c’est à elle qu’il se vouait pour s’accomplir. S’il y a une magie de la poésie, c’est chez lui qu’elle se révèlera. Diplomate, il savait se libérer de sa charge afin de se couper du monde pour écrire, assurant le plus qu’il pouvait. Toute l’ardeur de cet être était récompensée par ses publications. La dispute savante, il l’avait bannie. Il savait faire régner un air d’urbanité, mais n’admettait ni les imbéciles, ni les empruntés. Il était spontané, et causeur prodigieux. Il charmait, fascinait ses interlocuteurs.
J'aimais sa poésie. J’aimais son univers et je souhaitais mieux le connaître. Hasard ou destin, j'en parlais un jour à un camarade qui fréquentait les mêmes séminaires que moi. Il avait déjà publié deux recueils chez lui. Discret et passionné, sans doute prenait-il plaisir à rencontrer d'autres gens d'univers différents. Il savait que j'étais marocain, et moi je persistais à croire qu'il était des Antilles. Il a corrigé cette méprise. Le sachant des Îles Maurice, j'ai voulu crâner un peu en lui disant que je connaissais Edouard Maunick. Mon ami me donna l’impression de mieux le connaître. Du coup, j'avais baissé d'un cran. Au fait, je l'avais croisé un jour à une réception que donnait le service culturel de l'Ambassade d'Irak. Je ne sais plus à quelle occasion. On avait échangé quelques mots. J'avais lu Les oiseaux du sang, et je me promettais de lire Les Manèges de la mer. Lors de cette soirée au 64 avenue Foch, il était sollicité de partout, et il tenait à rendre la politesse à tout le monde. J'avais réussi quand même à lui dire ce que je pensais de sa poésie.
-Ah il faut être prudent avec la poésie du simple fait qu’elle soit constamment aux prises avec le temps, me dit-il, avec un sourire qui découragerait les simplificateurs et leur ferait perdre leur assurance. Voici me semble-t-il un poète fort loin du rêveur. Dira-t-on que j’ai gardé de l’homme une bien bonne impression? Je le pense, sans m’efforcer à deviner la personne qui laissait échapper cette confidence derrière laquelle on peut déceler la joie procurée par l’exercice de la poésie.
Un jour, mon ami Louis me proposa de l'accompagner. Il avait, me dit-il, rendez-vous avec son éditeur dans une brasserie des Champs-Elysés. Cela nous changeait des troquets de Saint-Michel. Nous nous sommes installés en face de la grande baie vitrée. Louis ne perdait pas de vue la porte d’entrée. Il ne voulait pas être surpris par son éditeur qui était largement en retard sur l’heure fixée. La personne en question n'était pas Il me dit d'attendre un peu car le bonhomme était toujours en retard. Pour meubler l’attente, il sortit de sa veste un recueil de poésie: En mémoire du mémorable suivi de Jusqu'en terre Yoruba qu'Edouard Maunick venait de publier. Il me l’offrit séance tenante. Qu'elle fut ma surprise de voir le poète lui-même chercher du regard quelqu'un. C'est là que mon ami se leva, lui faisant signe. M. Maunick s'était empressé de s'excuser. Les présentations faites, il ne se souvenait pas que nous avions échangé quelques mots à l'Ambassade d'Irak. Il m'a prié de l'excuser car il voyait beaucoup de monde. Très courtois, très aimable, il parlait sans réserve de Paris et des relations qu'il avait avec quelques écrivains de la place. Il s'était montré d'une franchise rude. Mais derrière ses mots, on sentait une sensibilité qui le porta un moment au scrupule. Et puis, il s'était montré curieux de savoir ce que je faisais et comment je connaissais Louis. Ce fut, même courte, une très agréable rencontre. Ce qui m'avait surpris chez lui, c'est qu'il parlait comme il écrivait, avec une jouissance et une gourmandise jamais rencontrées chez quelqu’un. Au moment où il s'apprêtait de partir, j'ai eu le réflexe de lui demander de me dédicacer son dernier recueil que je sortis machinalement. Il s'est alors assis, prit son Mont-blanc, me demanda de lui redire mon nom, griffonna quelques lignes sur la page de garde. Ce n'était pas une banale dédicace, mais deux petits vers qu'il signa avec le sourire.
En dehors de ses petites propres, de sa valeur, sa poésie court encore sur son erre créole, offre un intérêt majeur, car elle illustre une évolution dans la poésie mauricienne depuis Robert Edward Hart, Malcolm de Chazal et Jean Fanchette.