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Léopold Sédar Senghor


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Rencontre avec le Président Léopold Sédar Senghor.

C'était un homme fascinant et supérieurement amène. Je l'avais rencontré pour la première fois en d’août 1986, lors d’un colloque organisé par le centre international de Cerisy-la-Salle (Normandie). J’aimais ses textes, et j’aimais encore plus l’homme et son cheminement. Rencontre marquée, et les mots sont impuissants de la décrire. Mais l’on ne pouvait qu’à se livrer volontiers au transport qui nous entraînait.
Senghor concentrait en lui la force et la clarté, la simplicité et la bonté. Cette simplicité avait le caractère d’un investissement calme et continu de l’univers par un regard et d’une démarche pour qui tout le sensible se faisait intelligible, pour qui la vérité du monde résidait dans son paraître même. Le côtoyant de jour en jour, il laissait entrevoir une spontanéité si intime qu’on pouvait tirer d’elle une première vertu. Sa quête, on peut la comparer à l’ascèse des martyrs. Senghor l’altier, l’universaliste. En son âme, d’où montaient tant de chants apaisés, on percevait, une secrète fêlure : l’innocence avec laquelle il abordait la vie dont il questionnait la surprenante instance. Il était à lui seul tout un univers, un symbole de la respectabilité. Son admirable désintéressement du pouvoir l’attesterait. Dans sa retraite, il avait décidé d’être pour la culture de son temps un témoin équitable. Il défendait jusqu’au bout la place de la poésie et l’importance capitale qu’elle revêtait pour lui. Il disait avec une pointe d’humour : « Au mois d’août quand le Sénégal cuit dans son jus, j’écris au frais en Normandie. » Attentif à tout, il trouvait chez quelques poètes maghrébins du raffinement que contredisait parfois la violence des mots du grand Khaïr-Eddine qu’il affectionnait particulièrement. Senghor aimait le Maroc, et la générosité de son cœur était pour lui la plus haute des valeurs. Avec Léon-Gontran Damas et Aimé Césaire, ils avaient rendu à l’Afrique sa dignité. Un tel jugement montre assez quel rôle Senghor a joué dans l’évolution de la notion de la négritude. Il appartient à cette génération d’intellectuels qui, par les principes qu’ils énonçaient, bouleversèrent la pensée. Leur influence s’exerça en Europe comme en Afrique. Elle avait atteint l’Amérique de Langston Hughes, Chester Himes et James Baldwin, un trio qui usait de toutes les armes pour combattre et convaincre : la persuasion, la formule-choc, l’humour ou le sarcasme. Certaines affinités les reliaient à Césaire et Senghor.
À la lecture de quelques vers de sa poésie lors de la séance d’ouverture, nous l’avons vu se sentir emporté par une délectation communicative. Tout cela était si émouvant que l’on ne peut ne pas l’évoquer aujourd’hui.
Très évidemment, Senghor n’avait pas de peine à communiquer en aparté. J’étais surpris par la qualité de sa mémoire allant chercher les émotions les plus lointaines pour parler de Joal, de Jilor, de Nyilane la douce, de l’ethnie sérère, d’un griot, d’un doux plaisir, d’une langueur, d’une passion, d’une palabre, d’un petit souvenir de sa tendre enfance. Il pouvait se rappeler de mille noms, de mille lieux en Casamance. Du passé de sa famille, il n’en faisait aucun mystère. N’en était-il pas de même pour lui qui allait d’aventure en aventure pour retrouver le souffle spirituel de ses valeurs culturelles africaines ? Président de la république sénégalaise, il était poète et écrivain, grammairien, jouissant d’une certaine autorité parmi les siens. Petite anecdote en marge du colloque, je ne savais pas que Senghor se prêtait si bien au badinage. On racontait à l’époque, et la rumeur était persistante que qu’il avait excommunié l’écrivain et cinéaste Sembene Ousmane pour une faute de grammaire. Mis en confiance, je voulus avoir le cœur net à la fois de l’homme d’État et du grammairien. « Mais mon cher, M. Ousmane avait à la maison un nègre, son épouse blanche, m’avait-il rétorqué. » Et il le disait avec un sourire qui en disait long sur l’usage de l’esprit et de l’humour chez lui.
Senghor fut un poète qui savait tâter les harmonies de sa poésie, suavement et savamment docile aux rigueurs de la langue française. La maîtrise ce celle-ci, il la doit justement à cette poésie conçue comme une religion. Période de foi poétique, au cours de laquelle il tentait, contre vents et marais, de croire désespérément à l’universalisme. Cela ne doit pas faire oublier qu’il était aussi un brûlot tranquille. Sa révolte dans les années trente avait de l’élégance dans sa contagion. Conséquemment, il s’est trouvé des enragés pour crier haut et fort que Senghor avait trahi ses frères. Le terrain désormais est balisé où la figure de Senghor sort renouvelée. On souhaite aux briseurs d’images -africains en premier- de laisser à ceux qui viennent la liberté de juger, en leur âme et conscience.

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