ALAIN BADIOU
Il connaissait le frémissement des luttes. Il pouvait paraître arrogant, mais il était habité par un idéal et une folle espérance. Ce que l’on pouvait très vite tirer de sa rencontre, c’est l’engagement. Il en avait le profil. La philosophie et le politique, il les avait liés dans un même destin. Badiou l’engagé pouvait être sulfureux, un peu de la trempe de Sartre. Il disait qu’il n’y avait pas un seul combat qui n’exigerait qu’on se batte les yeux ouverts pour lui. Au fait, l’homme était sans repos. Ce R’bati de naissance était un fin connaisseur des luttes révolutionnaires de son époque. Mai 68, il l’avait vécu avec ses tripes. Il s’affichait maoïste, et le militant frayait avec Althusser et Lacan. Il ne blâmait jamais à tord. Point de confusion dans son esprit. Il était loyal et franc quand il abordait la pensée d’un tel ou tel. Ainsi s’opposait-il à ce qu’il appelait « la dérive deleuzienne ». Ce qui me chagrinait un peu. Mais il ne faisait que défendre sa vérité. J’avoue que je ne fréquentais pas souvent ses séminaires, mais je lui reconnaissais de l’importance. Il était tout le contraire de Lyotard, avait même du mépris pour l’œuvre de Wittgenstein. Son langage était différent, avait la capacité de soulever les foules. On pouvait pour la démonstration avoir la preuve tangible lors de ses interventions dans les Assemblées Générales autour des politiques de l’enseignement. Il mettait à profit son engagement avec une habilité spectaculaire tout en donnant de la réalité contemporaine une analyse un peu brutale à mon goût. Mais la pilule passait car il croyait à la nécessité de donner à celle-ci une actualité nouvelle. Il parlait de politique, de responsabilité alors que d’autres de ses collègues parlaient histoire et morale.
Il m’arrive, lorsque j’écoute aujourd’hui ses interventions de penser aux transes qui étaient les siennes, somptueusement dantesques. Il avait de la voix et savait rager. Et dans sa foncière colère, il savait remporter la bataille sans humilier l’adversaire. Sacré Badioui, Badioui l’entier dans son rapport au monde !