Paul Bilhaud (1854–1933) fut un écrivain, un poète, un dramaturge, auteur de plusieurs pièces de théâtre et collaborateur régulier d’autres artistes et écrivains de son temps. Actif dans les cercles littéraires et satiriques, il participa pleinement à l'effervescence intellectuelle de son époque, mêlant avec aisance esprit mordant, critique sociale et humour absurde. Il est surtout connu pour sa participation au mouvement des Arts incohérents, un courant artistique à la fois humoristique, irrévérencieux et satirique qui vit le jour en France à la fin du XIXe siècle. Fondé en 1882 par Jules Lévy, ce mouvement comptait dans ses rangs Alphonse Allais et Paul Bilhaud. Ils entendaient tourner en dérision les conventions esthétiques dominantes, en cultivant l’absurde, le nonsense et la parodie comme formes de contestation.
Bien que son nom soit aujourd’hui moins connu que ceux des grandes figures de l’art moderne, Bilhaud a joué un rôle non négligeable dans la remise en question des conventions artistiques. Par son audace, son goût du paradoxe et son sens du détournement, Il a contribué à préfigurer certaines démarches de l’art conceptuel, bien avant qu'elles ne soient théorisées au XXe siècle. Il réalisa en 1882 une œuvre picturale monochrome constituée d'une toile uniformément peinte en noir. Le tableau est considéré comme l’un des premiers exemples de monochrome dans l’histoire de l’art occidental. Il anticipe, par sa radicalité, les expérimentations ultérieures, devançant Kazimir Malevitch et son « Carré noir sur fond blanc » (1915), souvent considéré comme le premier monochrome "sérieux". « Combat de nègres pendant la nuit » s'inscrit dans une tradition de remise en question de l’art lui-même, qui culminera plus tard chez Duchamp, Yves Klein ou John Cage.
Combat de nègres pendant la nuit
Le titre de l’œuvre, bien qu’humoristique dans son contexte d’époque, utilise un langage qui est aujourd’hui considéré comme raciste et offensant. Cette appellation renvoie à une époque où les stéréotypes raciaux étaient monnaie courante dans les milieux artistiques et littéraires, et publicitaires. L’affiche « Y a bon Banania », créée par Giacomo de Andreis, met en scène un tirailleur sénégalais souriant, en uniforme exotique, dégustant du chocolat dans un paysage idéalisé. Derrière cette image apparemment innocente se cache une construction raciale aux forts accents coloniaux : traits caricaturaux, attitude infantilisée, et insouciance supposée face à la guerre. Cette représentation, emblème publicitaire pendant des décennies, visait à minorer le rôle des soldats coloniaux en les cantonnant à des figures dociles et folklorisées — à l'image du produit lui-même, français par le nom mais issu de matières premières coloniales. Ce "rire Banania" a participé à une racialisation implicite de la société française, dénoncée dès 1948 par Léopold Sédar Senghor. Finalement condamnée en 2011, cette imagerie révèle la persistance, sous couvert de marketing, de logiques profondes de domination et d'exclusion. Aujourd’hui, les institutions qui évoquent le tableau de Paul Bilhaud, le font souvent en le contextualisant pour dénoncer les limites du comique colonial et les implications raciales implicites dans la culture visuelle de l’époque.
« Combat de nègres pendant la nuit » reste un titre énigmatique et volontairement absurde. Il fonctionne comme un contrepoint ironique au vide visuel de la toile : en suggérant une scène invisible par essence, il déplace ainsi l’attention vers l’imaginaire du spectateur, contraint d’inventer ce que l’œuvre ne montre pas. Ce décalage entre le titre narratif et le contenu vide crée une tension comique et critique. Aussi, loin d’être une simple plaisanterie visuelle, cette œuvre ouvre la voie à des questionnements fondamentaux sur le statut de l’art, sur le rôle actif du regard, et sur la capacité de l’esprit à combler l’absence par la pensée. Elle anticipe, par son geste radical, des courants ultérieurs comme l’abstraction, le minimalisme ou encore l’art conceptuel. Le tableau est aujourd’hui considéré comme l’un des tout premiers exemples de peinture monochrome dans l’histoire de l’art occidental, sinon le premier. Derrière sa simplicité apparente, cette œuvre se révèle à la fois provocatrice et conceptuellement audacieuse. Par son absence volontaire de représentation figurative, elle interpelle le spectateur, l’invitant à réfléchir sur les limites de la perception, sur la nature même de l’image, et sur ce que signifie "voir".
« Combat de nègres pendant la nuit » est une pièce marquante, qui continue d’inspirer et de susciter des débats, témoignant de la puissance de l’art conceptuel bien avant son émergence officielle au XXe siècle. Une œuvre à découvrir pour ceux qui souhaitent explorer les frontières de la créativité et de la pensée artistique. Mais il ne s’agit pas seulement d’une audace plastique : l’œuvre est avant tout une blague artistique, une provocation dada avant l’heure, exposée au Salon des Incohérents — un mouvement artistique satirique fondé dans les années 1880, qui se moquait des conventions académiques de l’art et de la société.
"Combat de nègres pendant la nuit" est donc une œuvre à lire sur plusieurs niveaux :
-Artistiquement : une préfiguration des avant-gardes abstraites.
-Satiriquement : une critique des codes de représentation traditionnels.
-Historiquement : un révélateur des mentalités et du racisme ordinaire de son temps.
C’est un artefact culturel complexe, à la fois drôle, provocateur et dérangeant, qui interroge les frontières entre art, absurde et idéologie.
Bien que son nom soit aujourd’hui moins connu que ceux des grandes figures de l’art moderne, son implication dans le mouvement des Arts incohérents a joué un rôle non négligeable dans la remise en question des conventions artistiques. Par son audace, son goût du paradoxe et son sens du détournement, Bilhaud a contribué à préfigurer certaines démarches de l’art conceptuel, bien avant qu'elles ne soient théorisées au XXe siècle. Il demeure une présence discrète mais influente dans l’histoire de l’art, dont l’héritage continue d’inspirer ceux qui explorent les limites de la représentation, le pouvoir subversif de l’ironie, et la place de l’humour dans la création artistique. Dans un contexte où l’académisme pesait lourdement sur la production artistique, les Incohérents proposaient une véritable contre-culture visuelle et littéraire, anticipant par bien des aspects les avant-gardes du XXe siècle. À travers des œuvres volontairement absurdes, grotesques ou conceptuelles, ils dénonçaient les codes figés du "bon goût" et s’en prenaient aux dogmes de la représentation artistique. Bilhaud s’y distingua par son esprit mordant et ses expérimentations audacieuses, à l’image de son célèbre monochrome noir qui incarne à la fois le geste iconoclaste et l’humour noir caractéristiques des Incohérents.