ZAGHLOUL MORSY
Tout comme Mohamed Loakira, Zaghloul Morsy n'a pour mystère que d'être poète. M'accordera-t-on qu'il est aussi romancier. Mais c'est sa poésie qui révèle le mieux sa vérité intérieure. En dépit d'une certaine préciosité et d'une ondulation d'écriture subtile, l'accent de cette poésie atteste la présence d'un véritable poète. Ni délire ni incohérence, Morsy montre même une certaine autorité. Ses vers échappant à toute opacité; restent transparents, et leur netteté est cristalline. Il est de toute évidence un poète doué. Dès la première oeuvre, "D' un Soleil réticent", on entrevoit le travail qui s'opère dans l'émerveillement et la surprise. N’est-ce pas qu’il tranchait avec les autres poètes de sa génération, s'exprimant en une forme hors de toute confusion. Son oeuvre, patiente et solide, brillant d'un éclat rare, ne peut trouver son compte qu'avec le lecteur infatigable et impénitent. A certains égards, elle met en place un art poétique continuellement dans la relance. Et c'est par là que le poète est prodigieux. Morsy ressentait mieux que personne un besoin de représenter les choses humaines. J’avais pour lui une fervente et affectueuse admiration.
J’ai eu l’indéfectible bonheur de le rencontrer à Paris. Il m’avait donné rendez-vous au coin de la rue où il habitait dans Montparnasse. Je pense qu’il était encore en fonction à L'UNESCO. Tout de suite, il avait remarqué mon trouble et ma timidité derrière mes Ray Ban. Lorsqu’il eut appris que je m’intéressais à sa poésie, il partit dans un discours et je fus littéralement embarqué sans la moindre halte pour lui donner l’échange. Il enfila sur la ville ocre dont il était originaire avec beaucoup d’aise et une nostalgie qu'il avait du mal à dissimuler. J'ai découvert qu'il avait un très grand besoin d'expression qui venait de son attachement au pays. Morsy m’avait paru impitoyablement fidèle aux sources vives, celles qu'on entretient secrètement en nous. En cette âme d’où montaient tant de choses apaisées, on pouvait percevoir une secrète fêlure. Sa voix, si accordée au souffle s’élevait pour témoigner de l’heure des souvenirs, et la rumeur qui lui parvenait, était heureuse me semblait-il. La nostalgie l’avait pris, et il ne pouvait s’y dérober. Il resta courtois et cérémonieux à la fois, retrouvant sa sérénité en parlant de sa vie parisienne et de son second recueil, « Gués du temps » que j’avais dévoré la veille de notre rencontre et qu’il m’a gentiment dédicacé; un recueil dont l’ordonnance est parfaite: tous les poèmes s’en organisent en un ensemble cohérent. La langue est savamment inventée. Et cela n’exclue ni l’émotion ni la sensibilité. La louange de la vie chante avec tout ce qu’elle a d’intime. Morsy est un musicien à l’écho secret, legs probablement venu de son père. Et ce n’est pas hasard d’avoir titré un poème « Cry me a river », un standard de jazz américain signé par Arthur Hamilton, chanté pour la première fois par Julie London en 1955, repris par Ella Fitzgerald qui en donna une version stupéfiante.
Morsy demeure pour moi un poète habité par une certitude tout à fait solaire. Il sait mesurer et apprécier la vertu poétique jusqu’à créer chez son lecteur un état poétique au sens que lui donne Paul Valéry. La magie est là. Se tenant depuis quelques années dans une réserve rare, je lui avais glissé dans la conversation que je préparais un essai sur la poésie marocaine de langue française pour les Éditions Shenna-Nizet, chapeauté par l'université de Bari (Italie), Il eut un sursaut. Un mois plus tard, il m’envoie une lettre exquise, m’encourageant pour mon travail en me gratifiant de quelques inédits, écrits à cet effet: des poèmes qui ont la pure fluidité de l'onde. Morsy tranchait avec les poètes retenus pour mon travail, s'exprimant en une forme hors de toute confusion. Il ressentait mieux que tous les autres un besoin de représenter les choses humaines. J’ai relu ses lettres et toute son oeuvre dernièrement et c’est merveille.