Slimane Ehnni était algérien d’origine amazigh issu des Ouled Sidi Cheikh, une tribu maraboutique du Sud-Oranais. Il était un sous-officier algérien de l’armée française, appartenant au corps des spahis. Il est surtout connu pour avoir été le mari d’Isabelle Eberhardt, une écrivaine et aventurière suisse naturalisée française.
Rencontre et mariage
Isabelle Eberhardt rencontre Slimane Ehnni en 1900 à El Oued, dans le sud algérien. Ce n’était pas son premier voyage. Le premier, elle l’avait fait en 1897, alors qu'elle avait à peine 20 ans, en compagnie de sa mère. Elles s'installèrent à Bône où les deux se convertirent à l'islam. L’influence d’Alexandre Trophimowsky -tuteur, père et mari anticonformiste et libre penseur- eut certainement un impact déterminant, grâce à ses compétences linguistiques et une connaissance parfaite de l’islam qu’il enseigna à sa fille et à Nathalie Moerder, son épouse. Isabelle va faire face à une série de tragédies : la perte de sa mère en 1895 à Bône, le suicide de son père à Genève peu après la mort de Nathalie et celui survenu à Marseille en 1897 de son frère Augustin âgé de 24 ans, avec lequel elle partageait une grande proximité intellectuelle et émotionnelle. Ces pertes successives -dans un climat familial déjà marginal et instable- ont contribué à façonner chez Isabelle un sentiment profond de détachement du monde bourgeois européen, et une quête existentielle intense qui l’a conduite au nomadisme et une vie aux marges de la société coloniale française. Elle renoue avec l’Algérie, s’immerge profondément dans la culture soufie, adopte le nom masculin de Mahmoud Saadi, porte des vêtements traditionnels d’hommes. Dans un de ses textes, elle exprima sans détours son attachement à ce peuple et à ce pays : « Ce peuple est mon peuple, et ce pays est le pays que je ne quitterais plus. Ici, je renaîtrai de nouveau. »
La relation du couple se développe dans ce contexte d’engagement culturel et spirituel. Mais le personnage de cette femme intrigue. Elle échappe de peu à une tentative d’assassinat, ourdie par un membre d’une confrérie rivale de son mari. Les tribus indigènes se méfient d’elle avant de l’accuser ouvertement de semer le trouble parmi eux. Se sentant en danger, elle quitte l’Algérie au bras de son homme. Le 17 octobre 1901, ils se marient civilement à Marseille, mais selon les rites musulmans. Leur union était à la fois romantique et stratégique, car elle permettait à Isabelle d’acquérir la nationalité française, facilitant ainsi son retour en Algérie après une expulsion liée à des tensions politiques et sociales. Ce mariage lui permettait aussi d’avoir une meilleure intégration dans la société algérienne.
Vie commune et défis
Après leur mariage, le couple retourne en Algérie, s’installe d’abord à Alger, puis à Ténès. Puis les deux vivent une existence itinérante, partageant une passion pour le désert et la spiritualité soufie.
Isabelle enseigne la lecture et l’écriture à Slimane, qui obtient par la suite un poste de khodja (secrétaire-interprète) à la commune mixte de Ténès. Cependant, leur vie est marquée par des difficultés financières et des tensions avec les colons français, qui voient d’un mauvais œil leur union et l’engagement d’Isabelle auprès des populations locales. Elle trouvait la vie des femmes musulmanes ennuyeuse, captives et assujetties, elle qui écrivait à son mari en 1901 :« Oui, certes, je suis ton épouse, devant Dieu et l'Islam. Mais je ne suis ni une vulgaire Fathma ni une quelconque Aïcha ». Isabelle pouvait dire autant des femmes européennes. Elle était libre, libertine même. En 1898, Bien avant son mariage avec Slimane, elle avait rencontré un Algérien nommé Ali Abdul Wahab. Elle fréféra le quitter pour sauvegarder le seul trésor qu’elle avait : sa liberté. Elle nota dans son carnet ce témoignage: « J'ai accepté cet homme comme mon amant, car il était fait pour me donner ce que je recherchais – la volupté – mais maintenant, je ne veux pas sacrifier le seul trésor que j'ai sur cette terre : ma liberté. ». Puis d’un autre amant arabe, elle laissa ces mots : « Sa dureté et sa violence sont arabes, en fait. Il y a aussi quelque chose de sauvage dans sa façon d'aimer, quelque chose de peu français et de peu moderne.»
Isabelle, même mariée, tenait à sa liberté, une liberté nullement appréciée par la communauté européenne qu'elle méprisait. Le choix de cette vie a attiré l'attention défavorable des Français. Son comportement et sa réputation étaient étroitement surveillées par la police coloniale, considérés comme odieux à une époque où les femmes européennes étaient les gardiennes de la mission civilisatrice de la France en Algérie. Ils la voyaient comme une espionne et une agitatrice. Ils considéraient également son attirance sincère pour un Arabe comme impardonnable, au point de contredire leur vision de la supériorité masculine européenne. Voilà ce qui empoisonnait ses rapports avec ses amis arabes et sa relation avec Slimane.
En 1901, Isabelle se retrouva sur une liste noire. On l’a sépara de son mari, transféré dans un régiment de spahis, dans une ville très loin d’elle. Et comme elle n’avait pas les moyens de le rejoindre, elle s'est tournée vers l'ordre de la Qadiriyya pour obtenir une aide financière. Lors d'une réunion, un homme armé d'un sabre a attaqué Isabelle, la blessant grièvement avant d'avoir pu être désarmé. Elle soupçonnait les autorités françaises de l'avoir engagé pour l'assassiner. Elle a été hospitalisée et sa survie a été qualifiée de miraculeuse par la Qadiriyya. Un procès eut lieu. Son agresseur fut jugé coupable d’homicide volontaire. Il en écopa pour 10 ans de travaux forcés.
En 1902, Isabelle et Slimane vivaient à Ténès, ville ultra-conservatrice des pieds-noirs. Voilà qu’une campagne de presse a été lancée contre eux. Isabelle fut accusée de diffuser une propagande hostile auprès des Algériens.
Fin tragique
En octobre 1904, alors que le couple réside à Aïn Sefra. Isabelle avait loué une maison en terre battue. À peine installés, une crue soudaine de l’oued frappa la région et emporta leur habitation. Isabelle put s’extirper des eaux, mais elle retourna à la nage pour sortir son mari de la crue. Mais affaiblie par des crises répétées de paludisme, elle se noya, perdant la vie. Elle n'avait que 27 ans. On la retrouva quelques jours après sous la maison effondrée. Et l’on ne sait par quel miracle, on retrouva aussi quelques pages éparpillées que Victor Barrucand, directeur de El Akhbar publia pour lui rendre hommage.
Isabelle Eberhardt est enterrée selon le rite musulman dans le cimetière de Sidi-Boudjemaâ à Aïn Sefra. Slimane Ehnni, profondément affecté, ne s’en remit jamais. Il resta une figure discrète de l’histoire, principalement connue à travers son lien avec sa femme. Leur union symbolise une rencontre interculturelle unique à une époque marquée par le colonialisme et les tensions identitaires. Slimane décède quelques années plus tard, dans des circonstances mal documentées.