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L'histoire d'amour entre le maréchal Hubert Lyautey et l'écrivaine-voyageuse Isabelle Eberhardt


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C’est un sujet de roman fascinant, bien que complexe et souvent romancé. Leur relation, mêlant admiration, fascination et peut-être sentiments plus intimes, s’inscrit dans le contexte colonial de l’Afrique du Nord au début du XXe siècle. Qui était Isabelle Eberhardt, cette aventurière, journaliste et écrivaine ? Elle est née à Genève en 1877 d’une mère aristocrate russe et d’un père anarchiste et orientaliste. Elle reçoit une éducation libre, axée sur les langues et la culture orientale. Très jeune, elle s’initie à la langue arabe, au Coran et à l’Islam, tout le contraire d’Elissa Raïs, juive d’Algérie qui se faisait passer pour une musulmane. Fascinée par l’Afrique à l’âge de 20 ans, Isabelle Eberhardt adopte les habits et le mode de vie des musulmans. Elle se convertit à l’Islam, prend le nom de Si Mahmoud Saadi, et vit déguisée en homme pour pourvoir circuler plus librement dans un monde strictement patriarcal. Elle a parcouru l’Algérie et le Maroc, s’immergeant dans la culture arabo-berbère et écrivant sur la vie nomade et soufie. Isabelle Eberhardt mène une vie nomade, solitaire et dangereuse, fréquentant les soldats, les tribus du désert et les soufis. Elle écrit des récits de voyage, des nouvelles, des chroniques pour des journaux et un journal intime qui témoignent d’un regard profondément empathique envers les peuples colonisés, critique envers l’administration coloniale française et marqué par une quête d’absolu spirituel et de liberté. Lyautey et Eberhardt se seraient rencontrés en Algérie, alors que le Maréchal était en poste à Aïn Sefra (Sud-Oranais) et qu’Isabelle y vivait. Lyautey, séduit par son intelligence et son audace, aurait été impressionné par sa connaissance du monde arabe. Eberhardt, de son côté, admirait Lyautey pour son ouverture d’esprit et son respect envers les cultures locales, contrairement à beaucoup d’autres officiers coloniaux. Les deux se vouaient une admiration mutuelle et entretenaient une relation quelque peu ambiguë. Certains biographes évoquent une possible passion secrète, mais les preuves tangibles manquent. Leur correspondance teintée de romantisme suggère une amitié intellectuelle forte. Lyautey l’aurait protégée à plusieurs reprises, notamment en lui évitant l’expulsion d’Algérie. Isabelle Eberhardt meurt tragiquement à 27 ans dans une crue soudaine à Aïn Sefra, alors qu’elle venait de se marier avec un spahi, Slimane Ehnni, maréchal des logis. Profondément affecté, Lyautey aurait déclaré : "Elle était un être d’exception, une âme libre dans un monde de conventions." Il contribua à la publication posthume de ses écrits** assurant ainsi sa postérité littéraire. Était-ce un amour romantique ou une légende ? La nature exacte de leur relation reste mystérieuse : certains y voient une histoire d’amour contrariée par les conventions sociales et la différence de statut. D’autres estiment qu’il s’agissait surtout d’une complicité intellectuelle, renforcée par leur passion commune pour le Maghreb. Leur lien, réel ou fantasmé, symbolise la rencontre entre deux esprits libres dans un contexte colonial rigide. Lyautey, l’aristocrate militaire, et Eberhardt, la rebelle nomade, ont chacun marqué l’histoire à leur manière, et leur relation continue d’inspirer romans et films. Nous apportons à toutes ces questions le récit de Jules Borély***, publié dans la revue marocaine Aguedal n°3/1937, p.209-210. « Je ne raconterais pas, s'il ne l'avait raconté plusieurs fois lui-même (Lyautey) à des personnes de son entourage, l'aventure - si l'on peut parler ainsi - qui lui arriva avec Isabelle Eberhardt quand il commandait en Algérie. Isabelle Eberhardt était amoureuse du général Lyautey. On sait que cette femme, d'origine slave, dormait avec l'un et avec l'autre, au hasard de son chemin ; qu'elle buvait et vivait en vagabonde, d’une ville à l’autre, de la charité de ses amis - du moins à la fin de ses jours. Louis Vaissié, aujourd'hui Président honoraire, me dit que lorsqu'il était juge de paix à Collo, province de Constantine, elle venait à la porte de son tribunal pendant l'audience, lui faire passer de petits billets où elle demandait « dix sous ». Dix sous d’il y a quarante ans. De quoi acheter de l'alcool et du tabac. La pauvre Isabelle était donc amoureuse de son général. Ceux qui la connaissaient bien le savaient. Noiré, le peintre, fervent de Lyautey, m'en a parlé. Le général faisait campagne dans le sud-oranais. Isabelle Eberhardt demandait à venir jusqu'à lui. On refusait. J'oublie le nom du pays perdu dans la brousse où la chose eut lieu, sous la tente, dans la nuit. Lyautey travaillait à la lueur d'une lampe. Très tard, quand tout reposait, il sortit pour s'éloigner. Un homme dormait à sa porte, couché dans un manteau de spahis. Il l'enjamba. Mais au retour il donna du pied dans ce corps pour voir qui c'était. C'était Isabelle Eberhardt. En fut-il troublé, en fut-il ému ? Le lendemain, usant de ce naturel qui lui a toujours permis de se mettre au-dessus de tout, il la reçut dans le camp à la table des officiers qu'il présidait ; et l'on y vit plusieurs jours ce pâle petit voyou à la voix éraillée par la boisson qu'était devenue cette malheureuse.**** O ! trois fois malheureuse Isabelle ! L'apitoiement que peut provoquer l'idée d'une recherche aussi douloureuse de l'amour, d'un homme à un autre, aurait-il inspiré ceux qui, depuis sa mort héroïque, ont écrit quelque chose de tendre sur sa pauvre vie ? ** Jules Borély. -------------- • « Isabelle Eberhardt. à qui je donnais admiration et sympathie — je dis tout bas que je ne la plains pas, tant je craignais qu'elle ne fût condamnée à une vie de déséquilibre et de déception incessante », écrit Lyautey à Victor Barrucand le 9 novembre 1904. Il ajoute le 2 avril 1905 : « Nous nous étions bien compris, cette pauvre Mahmoud et moi, et je garderai toujours le souvenir exquis de nos causeries du soir. Elle était ce qui m'attire le plus au monde : une réfractaire. Trouver quelqu'un qui est vraiment soi, qui est hors de tout préjugé, de toute inféodation, de tout cliché, et qui passe à travers la vie aussi libéré de tout que l'oiseau dans l'espace, quel régal ! J'aimais Ce prodigieux tempérament d'artiste, et aussi tout ce qui en elle faisait tres¬ sauter les notaires, les caporaux, les mandarins de tout poil. Pauvre Mah¬ moud ! » Vingt ans après, le Maréchal parlait avec respect et admiration de celle qui fut bonne et généreuse. ** "Dans l’ombre chaude de l’Islam", "Notes de route", *** Peintre, photographe, il s’installe en 1919 dans la médina de Rabat après des séjours à Fès et Mogador. Il remplace Maurice Tranchant à la tête du Service des Beaux-Arts et des monuments historiques. Le maréchal Lyautey fait appel à lui de 1925 à 1935. **** Elle mourut dans les flots où elle s’était jetée pour sauver celui qu'elle avait pris pour mari.

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