Quelle image avons-nous de l’aventurier ? Bénéficie-t-il encore d’un portrait idéal dans la vraie vie et dans les œuvres de fiction ?
Est-il utile de rappeler qu’…
1/ étymologiquement, le mot aventurier vient du verbe aventurer, qui lui-même vient du latin adventurium (ce qui doit arriver, ce qui est à venir) et du verbe advenire (arriver). Le terme aventurer a d'abord signifié "risquer" ou "exposer à un danger" dans le sens de partir à l'aventure. Par extension, un aventurier désigne donc une personne qui cherche des expériences nouvelles et souvent risquées, un explorateur ou un individu qui se lance dans des entreprises incertaines ou audacieuses. Si le champ sémantique du mot « aventure » est réduit, le champ lexical est plutôt bien fourni.
2/Historiquement, l’idée de l'aventure évoquait des périples lointains, souvent liés à des découvertes, des explorations ou des quêtes héroïques, d'où le sens actuel de quelqu'un qui poursuit des actions imprévisibles et parfois dangereuses. Sous quel angle, comment pouvons-nous apprécier l’explorateur, le héros de roman, du conte ou plutôt l’audacieux à la recherche de nouvelles expériences ?
3/ Que dit-on dans Littré ?
À l’entrée ‘aventurier’, ce dictionnaire nous sert deux sens :
A/ « celui qui cherche les aventures et surtout les aventures de guerre, et qui n'a d'attache nulle part.
B/ un homme qui vit à l'aventure, sans règle et qui n'a point de consistance. »
Reprenons à la lumière de ces premiers éléments !
Un aventurier serait donc une personne qui cherche à explorer l'inconnu, à vivre des expériences nouvelles, souvent dans des conditions difficiles ou risquées. Il peut être motivé par la découverte de nouveaux territoires, de nouvelles cultures comme pour le cas des anthropologues, des ethnologues, des explorateurs ou encore par le défi personnel.
Les aventuriers sont souvent associés à des activités comme les expéditions en montagne, dans les déserts, les voyages dans des lieux reculés, les explorations maritimes, ou même des aventures urbaines. C'est un terme qui engage à la fois l'idée de courage, de curiosité et d'indépendance. Les grands aventuriers sont souvent des figures emblématiques qui ont marqué l’histoire par leurs explorations audacieuses. Ils ont non seulement repoussé les limites géographiques, mais aussi celles de l'esprit humain.
Où placer le curseur ? Outre leur passion pour l’aventure, on ne peut aisément opérer une hiérarchie ou une comparaison. Que partagerait le conquistador espagnol Hernàn avec le missionnaire et explorateur britannique Livingstone, voire du naturaliste et géographe allemand Humboldt ? Si certaines actions les rapprochent, la finalité des projets les sépare drastiquement.
Certains aventuriers avaient ouvert la voie à l’esclavage et aux colonies. La colonisation de l'Amérique latine a été marquée par l'exploitation des ressources, la domination violente des peuples autochtones, et des transformations profondes des sociétés, qui sont encore visibles aujourd'hui dans la culture, les inégalités sociales et les structures politiques. Selon le traité de Tordesillas (1494), le monde a été divisé en deux sphères d'influence : l'Espagne recevait la majeure partie des terres à l'ouest de la ligne de démarcation, tandis que le Portugal recevait celles à l'est, y compris le Brésil. Comment comprendre le périple de Vasco de Gama jusqu’aux Indes sans songer un seul instant que son voyage avait permis aux portugais d’établir leur empire colonial ? Que dire de Hernán Cortés qui a conquis l'Empire aztèque, de Francisco Pizarro qui mit main basse sur l'Empire Inca ? Les deux n’avaient-ils pas joué un rôle crucial dans la prise de contrôle des grandes civilisations indigènes ? Ces empires, bien qu'impressionnants, ont été rapidement réduits à néant par la violence l'exploitation, les épidémies, notamment la variole, contre laquelle les populations autochtones n'avaient aucune immunité. On peut dire autant de toutes les colonisations.
Qu'elle soit extérieure ou intérieure, l’aventure peut avoir différentes finalités selon la perspective adoptée. Certains y voient une quête de sens, d'épanouissement personnel ou de dépassement de soi. D'autres, plus philosophiquement, y trouvent une exploration de l'inconnu, un moyen de briser les barrières de la routine et de se reconnecter avec l'essentiel.
En somme, la finalité de l'aventure, c'est de se redéfinir à travers l'expérience, d'élargir ses horizons, de vivre intensément, et parfois de rencontrer l'imprévu qui nous fait évoluer. C'est aussi parfois une manière de chercher un équilibre ou de trouver une forme de liberté, loin des contraintes habituelles. Parfois, l’aventurier sans le savoir va au-devant d’une mort certaine. James Cook, l'explorateur britannique, a terminé sa vie de manière tragique. Après avoir accompli plusieurs voyages d'exploration dans le Pacifique, il meurt lors de son troisième voyage à Hawaï, en 1779, poignardé plusieurs fois. Son corps fut mutilé par les autochtones, au cours d'une altercation à propos d’une barque volée. Cette mort a montré les défis complexes des rencontres entre cultures très différentes à l'époque.
Quel projet occupe l’aventurier ? Est-il le même que celui du bourlingueur, de l’explorateur, du globe-trotter, du routard, du missionnaire, du mercenaire, du brigand, du forban ou du pirate qui écume les mers ? chacun d’eux reflète son être. Sindbad, le marin des Mille et Une Nuits, était-il un aventurier au vrai sens du thème ? Seule sa légende pourrait l’autoriser. Entre l’œuvre de fiction et le réel, il y a une nette différence. Ibn Battuta -contemporain de Marco Polo-, en était-il un ? Ibn Fadlan, envoyé en mission diplomatique auprès de la tribu des Volga Bulgars, considéré comme l’un des premiers témoins occidentaux de la culture viking, l’était-il ? Quel but s’était donné Ibn Jubayr dans sa « Rihla » ? n’était-elle qu’un voyage intérieur ?
Indépendamment de ce qu’ils ont apporté à l’histoire -chacun dans son domaine de prédilection-, nous ne pouvons considérer Muhammad al-Idrisi, Ibn Jubair, Muhammad Aufi, Yaqut al-Hamawi comme de simples aventuriers et les mettre à la même hauteur.
Quand on y songe, le panel de noms et de projets est impressionnant. Qu’est-ce qui prime alors dans l’aventure ? L’action ou ce qu’elle peut apporter par ricochet ou en filigrane ?
Qui dira ce qui fut le plus important pour Laurence d’Arabie : la Révolte arabe ou Les Sept Piliers de la Sagesse ?
Pour Hemingway : la guerre aux côtés des républicains espagnols ou son œuvre Pour qui sonne le glas ? Pour Malraux, la guerre d’Espagne ou L’Espoir ?
Que dire de Rimbaud aux semelles de vent nomadisant en Abyssinie ; était-il un aventurier ? Que dire de Lautréamont, venant de Montevideo se sédentariser dans sa chambre d’hôtel à Paris ?
Et quand l’aventure de l’homme n’est pas terminée, quand la mort n’est pas encore venue donner une signification à sa vie, n'est-il pas hasardeux de juger son aventure ? Verra-t-on du même œil l’aventure d’un homme qui meurt de soif dans le désert de Gobi et celui qui meurt dans son lit à Pétaouchnok, entouré de l’affection des siens ?
Transposons tout cela dans la fiction et dérivons vers un autre panel, celui de l’aventure romanesque. Les personnages aventuriers dans les romans sont souvent des figures fascinantes, car ils incarnent la quête de l'inconnu, la recherche de sens à travers des péripéties. Que ce soit dans la littérature classique ou moderne, ces personnages ont tendance à avoir des traits de caractère spécifiques : audacieux, parfois téméraires, mais aussi souvent confrontés à leurs propres limites et à des dilemmes moraux tels Phileas Fogg, Moby Dick, Frodo Baggins, ….
Dans la plupart de ces romans, l’action contraint et l’aventure dévore les âmes et les corps. Quand le personnage connaît le long de son cheminement le mûrissement ou l’évolution, le bannissement et la chute, il subit du même coup la lenteur du temps romanesque qu’il trouve insupportable à son ardeur. Il n’y a pour lui que la durée, l’avant et l’après, le désir, le meurtre et la conversion. La continuité, il la brise par la faute mais aussi par le rachat ou le pardon. Il porte souvent la marque d’une étrangeté qui est à la fois physique, morale et sociale. Dans son périple, il démonte l’arbitraire de l’ordre qui le condamne à l’étrangeté. Le romancier choisit pour lui le tragique aux dépens du ‘happy end’. Les fins heureuses, bien que gratifiantes, peuvent parfois sembler artificielles ou trop idéalisées. Tandis que la tragédie, en raison de son aspect inévitable ou de son caractère irréversible, peut toucher un côté plus profond de nos émotions. C’est un peu comme une catharsis : au travers du malheur des personnages, nous éprouvons une forme de libération ou de réflexion sur notre propre vie. En effet, le tragique exerce un pouvoir particulier sur l’esprit humain, et son attrait peut s'expliquer de plusieurs façons. D’abord, il touche souvent à des vérités profondes et universelles : la souffrance, la mort, la fin des rêves, la fragilité des êtres humains. Ces thèmes sont intrinsèquement liés à notre condition humaine, et, paradoxalement, en nous confrontant à la tragédie, on prend conscience de la beauté de la vie et de ses incertitudes.
De nombreux romans couvrant différents genres et époques partagent un thème commun de fatalité, où les personnages sont souvent poussés par des forces extérieures ou leurs propres passions vers une fin tragique : Roméo et Juliette, Anna Karénine, Raskolnikov de Crime et Châtiment. Certains comme Alonso Quichano, l’hidalgo Don Quichotte se donnent pour idéal de combattre le mal et protéger les opprimés.
Puis il y a la figure de Maldoror qui semble plutôt être une figure qui incarne la rébellion, la monstruosité et le rejet de toute forme d'autorité. Il est le contraire d'un aventurier en quête d'un objectif tangible. Son aventure est complexe, sombre et symbolique. Il s’aventure dans des territoires intérieurs profonds, presque métaphysiques, interrogeant la nature de la souffrance, de la liberté et de la destruction.
Le tragique provoque une émotion plus intense et plus durable que le bonheur superficiel ou attendu d’une fin heureuse. Enfin, le tragique nous renvoie souvent à des dilemmes moraux ou à des choix existentiels plus complexes. Les personnages tragiques sont souvent confrontés à des situations où, malgré leurs efforts, ils sont voués à l'échec ou à la perte, ce qui donne un aspect de fatalité qu’on trouve fascinant à explorer.