Egon Schiele, le rebelle, le perturbateur, le virtuose n’était lui-même que dans la fréquentation des excentriques. Un démon intérieur le rangeait. Il pensait que son art pouvait conjurer les normes sociales, défier les idées reçues sur la sexualité, la morale et l’identité. Et il ne l’a pas fait dans le sens magique ou rituel mais plutôt en l’utilisant comme un moyen d'auto-exploration et de libération émotionnelle dans une société rigide et conservatrice. Tout comme Rimbaud qu’il affectionnait, il avait fini de rompre avec la société autrichienne qui rendait un culte aux représentations idéalisées ou apaisantes de la beauté humaine. L’art de Schiele était dominé par la figure féminine et la sexualité, marqué par une approche radicale de l’anatomie et de l’émotion. Dans les nus qu’il a réalisés tout au long de sa carrière, en particulier ceux de sa compagne de l’époque, Wally Neuzil qui lui servait de modèle aussi, il y livra une exploration de la sexualité et de la psychologie humaine, laissant de sa muse une image à la fois sensuelle et tourmentée. À travers ces dessins et ces peintures psychologiquement chargées qui reflétaient une lutte avec la solitude, la culpabilité, et le désir, Schiele a pu conjurer aussi ses propres démons intérieurs se livrant à une forme de catharsis, une tentative de transcender les difficultés émotionnelles en les transformant en une forme visuelle. Ce processus lui permettait non seulement de se libérer de ses angoisses, mais il incitait également les spectateurs à confronter des aspects souvent refoulés de l’expérience humaine.
Dans ses nus en général, Schiele ne cherchait pas à apaiser la vision de la sexualité, mais à la confronter dans toute sa complexité et sa sensualité. « Femme nue assise », encre et aquarelle sur papier, peinte en 1914 est une œuvre dont la composition est simple. La femme est représentée en position assise, avec son corps légèrement de profil. La posture est à la fois détendue et tordue, ce qui souligne la tension entre la vulnérabilité et l'indépendance du sujet. Les bras sont positionnés de manière asymétrique, ce qui crée un équilibre visuel intéressant. Le contraste entre les lignes nettes de l'encre et les nuances délicates de l'aquarelle accentue la force émotionnelle de la figure tout en soulignant sa fragilité. Les contours du corps sont dessinés de manière nette et angulaire, mais l'utilisation de l'aquarelle et de l'encre permet de jouer avec les ombres et la lumière, ce qui ajoute une dimension de sensualité à l'œuvre. Les couleurs, souvent subtiles mais parfois vives, mettent en valeur les détails anatomiques et la texture de la peau, qui semble à la fois fragile et chargée de force. Cette oeuvre a scandalisé comme au temps de Courbet avec « la naissance du monde » qui avait défrayé la chronique à l’époque de sa création, un chef-d’œuvre de l’art réaliste qui avait suscité une controverse importante, notamment en raison de son sujet et de la manière dont il le représentait. La scène représente un nu féminin sans visage, avec un gros plan sur le sexe de la femme rendu avec une grande explicité. L’œuvre a été exposée pour la première fois au Salon de 1867, mais elle a rapidement été retirée, car elle a provoqué une réaction hostile du public et des critiques. Certains la considéraient comme vulgaire, dégradante, voire pornographique. Comme Courbet, plusieurs raisons plaçaient Schiele dans une situation intenable. D’abord le style, puis le sujet et la manière dont est abordé la représentation du corps humain. Pour l’artiste, ce corps décrié lui semblait, malgré l’étrangeté, tout à fait naturel, dénotait une expérience intime invitant à la réflexion sur la condition humaine. L’œuvre peut être appréciée comme une représentation brute et sans ornement de la féminité échappant aux idéaux traditionnels de beauté. L’artiste a su mettre en lumière la nudité sans la romantiser, mais en la confrontant à la réalité crue du corps féminin peint dans des moments de vulnérabilité ou de solitude, ce qui pouvait être interprété comme une exploration de la condition féminine sous des angles peu flatteurs.
Les figures féminines dans les œuvres de Schiele semblent parfois isolées, fragiles, ou perdues, ce qui déstabilise les spectateurs qui s'attendent à des images plus idéalisées. Cette marque de fabrique distingue ce peintre des autres comme Gustav Klimt avec lequel il a travaillé pendant une période. Les représentations du nu de Schiele sont loin des canons classiques de beauté, et cette approche était perçue à son époque comme dérangeante pour ceux qui s'attendaient à une vision plus conventionnelle du corps féminin. Ce parti pris se caractérise par une distorsion volontaire des proportions et des poses, qui peuvent paraître exagérées, voire grotesques.
Quelle conception se fait Schiele de l’érotisme dans une époque où l'Autriche-Hongrie était encore une société conservatrice, où les mœurs étaient rigides, surtout en ce qui concernait la sexualité ? Les œuvres de Schiele, qui osaient aborder les thèmes du désir, de l'intimité et de l'exhibition du corps nu, étaient jugées indécentes par les autorités et par une partie du public. Le peintre a souvent exploré la sexualité d’une manière explicite dans ses œuvres, mais il a également mis en avant des aspects plus crus et sans idéalisation. Ses dessins de nus, souvent très expressifs, représentent des corps dans des postures parfois déformées et accentuent la sexualité, ce qui choquait les normes sociales de son époque, particulièrement à la fin du XIXe et au début du XXe siècle qui avaient abouti à quelques scandales juridiques et la répression de ceux qui sortaient du cadre. En 1912, Schiele fut arrêté pour "pornographie", et prostitution, accusé d'exposer des œuvres artistiques jugées immorales, des dessins de jeunes filles dénudées aux postures suggestives, particulièrement controversés, jugées laides, terrifiantes et même obscènes, alors qu’elles dénotaient selon leur auteur une certaine franchise, malgré leur crudité affichée. Ce qui a créé des réactions très polarisées et souvent scandaleuses, valant à l’artiste un séjour à la prison de Neulengbach. De sa cellule, il vociférait, ne cessait de dire que « l’art ne peut pas être moderne », avant d'être libéré. Cet épisode a marqué un tournant dans sa carrière, bien qu'il ait continué à poursuivre son oeuvre avec une intensité accrue après sa libération.
En somme, l’œuvre de Schiele a bousculé les conventions esthétiques et sociales de son temps, en plaçant la sexualité, la vulnérabilité et l'expression brute du corps. Schiele a eu une vie personnelle tumultueuse. Il est mort jeune, à l'âge de 28 ans, de la grippe espagnole, mais son héritage artistique perdure et il est désormais reconnu comme l'un des grands maîtres. Ses œuvres sont aujourd'hui exposées dans de nombreux musées à travers le monde, et il est considéré comme un précurseur de l'art moderne, explorant les thèmes de la sexualité, de l'identité et de la mort.
En conclusion, “Femme nue assise” illustre la capacité du peintre à capturer, à travers le corps nu, l’essence de la condition humaine. Il lui confère un mélange d’émotion brute, de sensualité et d’introspection. Cette œuvre se distingue par sa technique particulière et sa profondeur émotionnelle, offrant une vision intense et sans compromis du nu féminin.