Nicole de Ponchara n’était pas seulement une femme altière et passionnée. Elle était poète, critique, romancière, férue de voyages et de rencontres. Cette diversité protéiforme ne risquait point de nous dissimuler l’unité foncière de sa personnalité. Elle avait un appétit de culture extraordinaire, aimait l’art et savait partager. On ne se rassemblait autour d’elle que pour lui ressembler, aimant l’idée qu’elle se faisait de la fonction de l’artiste. Elle n’avait besoin d’aucune filiation pour éprouver sa relation à l’art en général. En dehors de ses mérites propres, de sa valeur sentimentale pour son Maroc, peu de gens savaient qu’elle avait vécu à Marrakech de longues années, et qu’elle était restée Marrakchie dans l’âme, remuant tout ce qui ruisselait du terroir. Elle en était imprégnée, récipiendaire heureuse et témoin pudique.
J’ai eu l’immense bonheur de la connaître lors d’un colloque international (Le corps et l’image de l’Autre/1984) à la Faculté des Lettres de Marrakech que notre département de langue et de littérature françaises organisait. Durant toute la durée des travaux, je m’efforçais à deviner la personne sous le personnage, et il ne m’échappait pas que son consentement à autrui était naturel avant d’être intellectuel. Rigoureuse et séduisante, elle nous avait gratifié d’une lucidité inlassable, affichant une indifférence totale à ses prestiges. Rien ne nous séparait d’elle dans des joutes mémorables qui délivraient des puissances d’émotion. Ce qui nous rapprochait le plus d’elle au fil des séances et en dehors d’elles, c’était le refus délibéré de superficialité et de prétention. N’importe quel compétiteur pouvait y trouver son compte.
Nicole de Ponchara avait le coeur chaud et la tête froide; de la rigueur aussi: cette vertu rare qui prenait chez elle plus de relief et de profondeur. Ses jugements avaient la clarté de la conviction, l’honnêteté de l’esprit alliées à un courage d’opinion qui ne perdait pas une once de ce que lui assignait sa conscience. Il est impossible d’évoquer son nom sans parler de sa modestie, de sa gaieté, de sa grâce, de son humour tamisé et subtil. On pourrait multiplier les qualités qui reflétaient toutes la même attitude mentale, la même exaltation qui furent sa seule loi. Sans doute son oeuvre n’était-elle pas inconnue mais reste mal connue et de certains assurément méconnue. Pour elle, il ne s’agissait pas d’une simple oeuvre si diversifiée soit-elle, mais d’une justification de sa propre vie. Au surplus, cette dame-là ne pouvait être que ce qu’elle était. Le bruit de son coeur résonne encore parmi nous. Dira-t-on que nous avons gardé d’elle une si belle vision? Nous le pensons, et nous la revendiquons.