La perte d’un être cher est un choc silencieux : soudain, le monde alentour demeure intact, et pourtant tout nous échappe. C’est dans ce vertige qu’est né ce texte qui porte des fragments de douleur et de lumière, des lambeaux d’une voix qui tente d’apprivoiser l’irréparable.
La mort est silence.
La mort surprend toujours, s’insinue tant dans les strates du temps que dans ses failles. Elle entre parfois dans le pli d’un regard, racle sans apparat. Elle marche à rebours de nos plans, dans l’aube qui se lève ou ne se lève pas. Elle avance sans tambour et sans clairon, aime cueillir quand l’être croit durer. Elle fauche les cœurs encore battants dans un silence plus dense que la pierre, plus furtif qu’une ombre qui glisse, mais qui jamais n’annonce ses prémices. Elle vient à pas lents, sans heurt, oublieuse des lois et des heures. Ni cloche, ni présage, nul souffle ne bat avant que son étreinte n'efface toute présence, n’éteint tout espace.
La mort ravit sans dire, drague sans débat ni procès. Un battement, puis rien, le vide en éclat. Alors on comprend peut-être trop tard que chaque souffle est un miracle. On vit, on rit, on rêve, on parle, on pense avoir le temps de bâtir des « demain » empilés de certitudes. Mais nul ne sait quand les ténèbres tendent leur rétiaire.
La mort prend, puis reprend, dérobe, ôte sans raison, sans pardon. Elle noircit aussi bien la bouche que la poussière du sentier, nous rappelle qu’on lui appartient.
Alors vivons avec moins d’arrogance, sachant que chaque jour n’est qu’un fragile don. Et si la mort surprend, qu’elle trouve en silence des cœurs qui n’ont trahi ni le doute, ni le nom !
La mort est une surprise noire. Elle n’avertit pas, terrasse sans se poser de question. Les proies sont pourtant là, riant peut-être ou maudissant un détail oiseux pendant que le souffle de la faucheuse souille leurs nuques. Elle prend au bout du tunnel, là où s’amincit la lumière ne laissant que l’abîme qui cligne de l’œil. Les uns crient, les autres s’effondrent, s’accrochent aux lambeaux de leur dernière parole. Mais les morts gisants, leur silence est plus dense qu’un monolithe. Ils font face à un froid regard qui perce sans clarté, un masque sans contours, un front obstiné, un visage qui ne juge pas, ne voit que l’éternité, pèse le vivant d’une paix condamnée.
La mort tend son triste voile sur un front de poussière. Son œil est sans profondeur, vaste comme la mer. Ni colère, ni paix, juste un temps suspendu dans la craquelure d’un monde révolu.
La mort n’a pas de traits, ou bien elle les prend tous. Elle est le miroir noir d’un monde qui s’efface. Elle porte nos peurs comme une bure barbare et nous rend le silence au lieu de la menace. Ses lèvres sont figées, non pas d’un deuil banal, mais d’un silence ancien, presque cérémonial. Son visage est de cendre, tourment, reflet sans pitié dans l’eau d’un dernier né. Ses joues sont des vallons où le vent ne dort pas, où les rides s’enroulent comme lierre ou fracas. La peau, faite d’absence, de nuit, de souvenir porte l’éclat des noms que nul ne peut redire. Parfois c’est un sourire, un visage aimé, doux qui vient tendre la main sans mot, sans dernier cri. Parfois c’est un néant, un gouffre aux yeux jaloux où nul ne lit l’issue, ni l’espoir, ni l’oubli.
La mort n’est jamais tout à fait ce qu’on croit. On ne la regarde jamais deux fois. Elle n’a ni âge, ni genre, ni couleur stable, mais une odeur qui palpite comme une flamme prisonnière d’un miroir brisé. Parfois, elle semble douce, presque familière, le reflet d’un être aimé, d’un souvenir paisible. D’autres fois, elle est nue, crue, réduite à l’os et au silence, et pourtant, toujours présente.
Elle ne sourit pas. Elle attend, menace, ne fait jamais de promesse. Juste une certitude, posée là, au bord de tout. Ses yeux sont d’un noir qui est ténèbres et absence à la fois, comme si la lumière avait oublié comment briller. On s’y perd, on s’y noie, on se reconnaît parfois.
La mort n’est pas une fin, mais une métamorphose du lien. Elle est cette paradoxale présence de l’absence. Elle n’offre ni consolations faciles ni réponses définitives, mais elle propose à la mémoire un miroir où déposer l’infinité des sentiments : le chagrin lourd et sourd, l’indignation muette, les souvenirs furtifs qui reviennent en volutes, les éclairs d’une fraternité indélébile qui renaît de l’absence pour sculpter l’adagio de la vie, et de la mort que nous avons déjà entrevue dans les rêves, dans les vitres embuées des hivers trop calmes, dans le regard de ceux qui partent sans prévenir. Elle ne parle pas, mais tout en elle murmure : “Je suis ce que vous refusez de voir, et pourtant j’ai toujours été en tête du cortège.” Et quand enfin nous la regardons en face, elle est dépouillée de peur, de rôle, de mensonge