Il arrive un moment, parfois après une chute, des doutes, parfois après l’errance où l’on ne cherche plus à devenir. On cesse de courir après des chimères, de remplir le tonneau des Danaïdes. Du vieillissement du rachis, il ne nous reste que la parole impuissante, la voix et la langue banale pour en parler. On cesse même de résister, dans les affres obscures du temps, partagé entre être et devenir. On s’assoit au centre de soi, dans « l’amitié de ses genoux », là où la lumière parcellaire filtre, respire et irradie, messagère de la nuit qui se lève.
Il n’y a dans cette attente aucun rôle à tenir, hormis une douce clarté, sans forme, sans nom qui s’élève de l’intérieur du sanctuaire comme une eau de naffe qui apaise le tumulte.
La voie de la paix, paisible et inspirée n’est pas une victoire. Ce n’est pas non plus un triomphe ou un trésor qu’on acquiert, mais une lumière qu’on accueille. C’est un accord entre soi et l’ombre. Entre le souffle et le monde. Elle naît quand on cesse de fuir, quand on s’assoie face à soi-même, sans masque, sans bruit, sans jugement. Elle est cet espace calme au creux du trouble où le cœur respire autrement, libéré du poids des atermoiements, du regret, de la peur. Elle n’est pas celle que le monde accorde ou refuse, mais celle qui est blanche et que les alliés de l’obscur ne peuvent profaner, parce qu’elle n’est bâtie sur rien d’exogène. Elle est l’oubli du combat, des abîmes boueux de l’être, porteurs de périls et d’inquiétants symptômes de crises. Et il y aurait de la frivolité à ne pas prêter l’oreille à ce que le chaos nous dit de la tragédie humaine.
La paix retrouvée est le silence qui ne se vide pas, mais qui contient tout, réconforte tout, épanouit tout. Elle commence par l’acceptation de l’ordre humainement conçu, une acceptation comme un jour de fête, comme un doux embrasement qui conjure l’entêté à cesser de vouloir plier le monde à sa mesure. Non par résignation, mais par un regard lucide : paume ouverte sur ce qui est et qui doit être.
On concédera que c’est là qu’on trouve justesse : dans l’accord discret entre l’instant et soi-même. Qu’importe si l’instant est imparfait ! Savoir que l’on peut vivre sans artifice ni masque, sans que tout soit réparé ou résolu ; vivre en assumant ses vulnérabilités, ses imperfections, ses vérités sans chercher à les cacher pour plaire et se conformer. Vivre c’est aussi accepter la fragilité de la condition humaine : la solitude, la finitude, l’échec, le doute… mais aussi la beauté fugace de l’instant, les vraies rencontres, les élans sincères. C’est parfois renoncer à briller pour mieux exister. Alors tout devient respirable, supportable. L’instant est ce qu’il est, et soudain cela suffit. On ne lutte plus contre la vie, on en fait une amie qui nous sauve du long purgatoire de la folie et qui exprime, plus au moins clairement, une réalité concrète qui ne peut se résorber que dans la pleine lumière. Et là, dans cette plénitude nue, on comprend que l’on est vivant, non pour s’accrocher à être la cinquième roue du carrosse, mais pour traverser, gagner la rive de tous les possibles ; rive fermée aux impatients, aux esprits rendus fébriles par l’ambition, ceux qui manquent de discernement, de don spirituel de l’attente, de modestie et du pouvoir de hâter la grande réconciliation dans l’harmonie de la création tout entière, dévouée aux fins lointaines. Vivre enfin libre. Non pas libre de tout, mais libre d’être soi.