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La poésie sert-elle à quelque chose?


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La poésie sert-elle à quelque chose ?

La poésie n’a pas une utilité pratique, mais elle nous est essentielle. Dans son discours de réception du Nobel, Saint-John Perse laissait entendre que « la poésie n’est pas seulement un mode de connaissance, elle est aussi un mode de vie, de vie intégrale ». Miroir de l’âme, elle sert à dire l’indicible, à dire les vertiges, les silences, les blessures secrètes, la beauté fugace d’un moment. Elle nous aide à ressentir plutôt qu’à simplement comprendre l’univers. Elle tisse des ponts entre les êtres, créé du lien, se partage, unit autour d’une émotion commune. Elle bouscule les conventions, révèle la beauté et l’étrangeté du quotidien. Elle sert aussi à résister contre l’uniformité, contre l’oubli, contre l’absurde. Laboratoire du langage et du chant du monde, elle questionne le sens de la vie, la mort, le temps ou la spiritualité. Elle devient une forme de philosophie sensible. Engagée, elle devient une arme contre l’oppression, l’injustice ou la tyrannie. Elle donne une voix aux sans-voix et interpelle la conscience collective. Si Baudelaire voyait en elle un moyen « d’extraire la beauté du mal », Rimbaud cherchait par une vision nouvelle à « changer la vie ». La poésie se forme dans l’abandon le plus pur, dans l’attente la plus profonde. Boire à sa coupe relève de la haute vertu et à laquelle le poète confie son espoir du salut. Parler du poète est une tâche bien rude. Parfois, loin de se contempler ou de se complaire, il monte aux sources obscures, plaide, lie à joint-vif ses pensées, sans mortifications, se renie quand il perd la mémoire de l’éclatante lumière. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de l’accompagner, l’approcher avec prudence, à défaut de le circonscrire afin de rendre compte de son don. C’est un génie qui jette au vent sa grâce personnelle selon un rite rigoureux. Seul avec soi-même, il n’écoute pas, il chante, et par sa voix parle quelque chose qui le dépasse, quelque chose qui appartient à son temps, à sa cosmogonie, à l’histoire, à la race, à l’humanité, à la terre, la sienne propre. Le poète comme disait Ludwig Achim von Arnim « est un vrai martyr, un ermite, qui, dans un célibat volontaire, s’adonne à la prière et à la macération ». Il marche à l’écart, un peu de biais, comme s’il lit le monde en marge, le cœur ouvert, le front tendu au voyage, à cueillir des silences oubliés. On le croit rêveur, il boit l’aube à petites gorgées, écoute les arbres et les pierres chuchoter. Il parle peu, mais ses mots s’enracinent dans la chair des jours, dans l’ombre des nuits. Il dit ce que d’autres taisent, et transforme les plaies en lumière fine. Il a pour armes le souffle, le doute, une plume trempée, une foi étrange et des vers qui peuvent redresser les torts. Il ne cherche dans sa route ni trône, ni victoire, mais simplement une vérité nue, la justesse d’un battement, un éclat d’âme. Il est la sentinelle qui garde la beauté. Tomberait-elle en ruines, il l’aimerait tout autant. Il pose des mots là où les autres passent. Et dans son écriture, il ne cherche que le feu. Et s’il ne reste que lui quand tout vacille et va à vau-l’eau, c’est qu’il écrit pour que l’homme se devine. S’il écrit, c’est pour répondre à une nécessité intérieure, existentielle. Il s’entête dans cette voie parce que la poésie n’est pas faite que pour les autres, elle est d’abord une façon d’exister. Écrire n’est pas un choix, mais une pulsion qui refuse le silence. « Le monde est fait pour aboutir à un beau livre », disait Mallarmé.

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