« Dessine-moi une Palestine heureuse » est le titre du nouveau recueil de Kebir Mustapha Ammi que publie Al Manar dans une édition bilingue français-arabe. Il fait écho par son élan ample et mesuré au « Vieil homme » paru l’an dernier dans la même collection. Ghaza a été une longue épreuve morale. Le poète y oppose de l’optimisme et de la générosité. Il entend faire passer le rêve, non dans l’imagination, mais dans la langue d’une âme qui puise aux forces vives. Rêver une Palestine heureuse est un leitmotiv qui nous fait galoper avec une innombrable sincérité d’un vers à l’autre.
Aux antipodes de l’indifférence et de la lassitude après des mois fort chargés d’une volonté délibérée d’un nettoyage horrible à Ghaza, voilà qu’un recueil vient à point nommé célébrer la Palestine avec éclat et ampleur. Kebir Mustapha Ammi n’est pas à son premier brûlot tranquille. « Dessine-moi une Palestine heureuse » ne décevra point les lecteurs qui avaient déjà apprécié le premier recueil. On ne peut que se joindre à une sublime communion où l’on peut mesurer dès lors l’importance que prend actuellement cette publication dans un monde qui se décompose dans les divisions et les haines. Nous retrouvons dans ce nouveau recueil les dons de sensibilité et d’émotion communicative d’un authentique poète. L’oeuvre va de pair avec les questions posées aux plus vivants par un homme soucieux des problèmes humains, moraux les plus actuels. Et il le fait avec un effort de pénétration vivifié. Dans ce long poème écrit avec une liberté qui ne consent jamais à la facilité et qui paraît conçu selon une rare affectivité, le lecteur ne peut se défendre de soupirer, avec quelque mélancolie mêlée à de la rage retenue.
Arrêtons-nous brièvement à la technique de ces vers, parfaitement adaptée à l’expression des sentiments insondables du poète! C’est une constante effusion dont l’élan rythmique se plie aux courbes de l’idée pénétrante, porte d’un mouvement sûr le chant jusqu’à sa résolution dernière, laissant au ton de donner à l’expression de ce chant discret une réserve, une pudeur, une décence qui en accusent la profondeur et la sincérité. La cadence imprime au tout l’expression exacte d’un instant de vie.
« Dessine-moi une Palestine heureuse » se libère de tout ornement superflu jusqu’à ne conserver que la ligne pure d’une mélodie dont les accents, par la sobriété même des moyens, atteignent au maximum de l’intensité expressive. Le poète se confond avec la création même qui l’entoure et dont il est partie. Il sait transposer dans des magies verbales dont la force incantatoire arrive à nous donner le sentiment d’une réalité tangible. Kebir Ammi y comble son coeur en représentant avec un amour inlassable une Palestine qu’il veut heureuse en dépit de toute détresse. Le plus inattentif des lecteurs saura voir ça et là des images tantôt contenues, tantôt réconfortantes, appréciera une poésie si bien ordonnée, si sobre, si nette et si nue qu’il finira de comprendre du premier coup le mérite. Lisons ces vers admirables des plus déchirants, des plus consolants aussi. Lisons-les avec une voix lente et profonde:
Dessine avec nos rêves
ارسم بأحلامنا
Et nos blessures
وجروحنا
———————————————
Assieds-toi sous un arbre
اجلس هناك تحت شجرة
Et dessine
وارسم
———————————————
Dessine-moi une Palestine qui n’a pas peur ارسم لي فلسطين التي لا تخاف
Quand le soir tombe
عندما يحل المساء
———————————————
Dessine-moi une Palestine.
ارسم لي فلسطين
Qui peut rire elle aussi à tous les instants du jour »
تضحك ايضا في أي لحظة من اليوم
« Dessine-moi une Palestine heureuse » reste un recueil de réconciliation, sans aucune révolte désormais révolue, mais dénonce en filigrane intelligemment et sans faire d’éclats, les malheurs que les injustices précipitent sur l’humanité. Et le poète le fait avec élégance.
Noureddine Bousfiha. Ecrivain. Poète. ———————————— Kebir Mustapha Ammi, Dessine-moi une Palestine heureuse, Trad. vers l’arabe par Noureddine Bousfiha. Dessins et peintures de Ghassan Faidi, Paris, Al Manar, 2025.