VOYAGE ET ÉCRITURE
1/ Le voyage comme quête.
Le voyage et l'écriture sont deux activités profondément liées, souvent enrichissantes l'une pour l'autre. Voyager offre des expériences, des découvertes et des perspectives nouvelles qui peuvent nourrir l'imagination et la créativité d'un écrivain. De même, dans cette ouverture vers l’ailleurs, l'écriture peut servir de moyen pour explorer, comprendre et partager les aventures vécues au cours d'un voyage. Les paysages, les cultures, les gens et les situations rencontrés peuvent fournir une mine d'inspiration tout comme les détails sensoriels, les émotions et les expériences qui peuvent enrichir les descriptions et les narratifs. Les récits de voyage en Afrique du Nord de Flaubert et Maupassant ont servi de toile de fond à l’écriture de Salambô et de Bel Ami. « Le génie du lieu »* interfère dans ces deux œuvres. Mais parfois, l’imagination avec ses capacités inventives supplée, nous donne des romans d’aventure dignes d’intérêt (D. Defoe, J. Verne)
L'écriture sur un voyage peut offrir une forme d'évasion pour l'auteur, lui permettant de revivre et de revêtir les expériences vécues. De plus, cela peut offrir aux lecteurs une échappatoire et une opportunité de découvrir des lieux et des cultures qu'ils n'ont pas visités eux-mêmes. Écrire sur un voyage peut également servir de processus de réflexion et d'analyse. Les défis rencontrés, les leçons apprises et les moments marquants peuvent être explorés en profondeur à travers l'écriture, offrant une compréhension plus claire des expériences, enchâssées l’une dans l’autre, formant un arrière-plan. Quand elles émergent, le soi de la personne devient transparent. La combinaison du voyage et de l'écriture peut mener à des œuvres captivantes et significatives qui peuvent se présenter sous diverses formes : roman, poésie, récit de voyage, essai, chroniques, journal, correspondances, relations d’ambassades, blog……
Voyager, c’est se confronter au divers, s’intéresser à l’altérité. Voyager expose à des façons de penser et de vivre différentes, ce qui peut influencer la manière dont on écrit. Cela peut élargir la compréhension des divers aspects de la condition humaine, ce qui peut se refléter dans des récits plus nuancés et profonds. Les journaux de voyage, les croquis, les photos et les souvenirs peuvent servir de matériaux de base pour des œuvres écrites. Ils aident à capturer des moments spécifiques et des impressions qui peuvent être développés en productions écrites. Si dans le voyage, il y a d’abord généralement un changement géographique, celui-ci s’accompagne parfois d’un mouvement existentiel. Un écrivain voyageur a pour caractéristique de fonder tout ou une partie de son œuvre sur une expérience personnelle lors de sa mouvance. Loin de sa bulle, le voyageur perd ses repères. Il met à profit ses découvertes, en tire des enseignements. En témoin privilégié, il donne à voir à son lecteur, de sorte que son aventure personnelle prend une dimension beaucoup plus large, universelle et littéraire. Sur le plan narratif, sur celui de l’intertextualité et de l’écriture autobiographique, les voyages peuvent raconter le réel, l’excentrique, le parodique, l’autobiographique, le voyage intérieur…. Ces mécanismes rendent possible toutes les écritures. L’épopée sur les routes se transforme en un hymne à la vie et à l’itinérance. Comment résister à l’appel de l’inconnu ? L’inconnu n’est pas le secret, ni même l’inconnaissable, mais il est un élan vers le devenir.
Cela étant dit, le voyage parfois tourne au drame. Il devient une véritable descente aux enfers. Il peut devenir une expérience dévastatrice. Nous la voyons se produire lors de situations de crise dans des zones de conflit, des catastrophes naturelles, ou des expériences traumatisantes. Cette descente aux enfers expose le voyageur à des souffrances et à des défis extrêmes. Dans ce cas, l’écrivain évoque souvent une expérience où le déplacement, qu’il soit physique, mental ou symbolique, le conduit à traverser des épreuves et faire des révélations profondes, souvent de nature terrifiante ou destructrice. Cette notion est riche en significations et peut être explorée de plusieurs manières, tant dans la littérature que dans la vie réelle.
Dans beaucoup de récits, le périple peut servir de métaphore pour un voyage intérieur ou initiatique. Le personnage quitte sa zone de confort pour affronter des défis, des peurs ou des vérités profondes. Cette expérience peut être difficile et douloureuse à vivre. Elle symbolise une "descente aux enfers" dans le sens où elle met en lumière les aspects les plus sombres de l’existence ou de la psyché du personnage. C’est souvent le cas dans les voyages mythologiques.
Dans le contexte psychologique, une "descente aux enfers" peut se référer à une crise personnelle ou émotionnelle. Une virée peut déclencher une introspection profonde, où l’être est confronté à ses propres angoisses, désirs refoulés ou aspects sombres de sa personnalité. Cela peut mener à une forme de catharsis ou de transformation, mais le processus est souvent éprouvant.
Dans la littérature, cette idée est souvent explorée à travers des récits où les personnages se retrouvent confrontés à des situations extrêmes ou surnaturelles, comme dans les œuvres de Lovecraft où le voyage peut mener à la découverte d’horreurs cosmiques et de vérités incommensurables, plongeant le protagoniste dans une "descente aux enfers" métaphorique. Aussi, dans les genres fantastique et mythologique, les voyages peuvent mener à des royaumes ou des dimensions infernales. Par exemple, dans L’Inferno de Dante Alighieri, la descente dans l'enfer est littéralement un voyage à travers des cercles de damnation. De même, dans certaines mythologies, les voyages dans des royaumes souterrains sont des rites de passage.
Dans un sens plus abstrait, une descente aux enfers peut aussi être interprétée comme une quête philosophique ou spirituelle où le voyageur explore les aspects les plus profonds et souvent dérangeants de l’existence humaine. C’est un voyage vers la compréhension des vérités ultimes, parfois au prix de la paix mentale ou de la stabilité émotionnelle.
Lorsque le voyage est décrit comme une descente aux enfers, il symbolise souvent une transformation intense et troublante, qu'elle soit psychologique, spirituelle, ou physique. C'est une exploration des aspects les plus sombres de l'expérience humaine, mais aussi une opportunité potentielle pour une compréhension ou une illumination plus profonde.
-------------------------------•L’expression est de Michel Butor