Cher Tahar !
Dans le conflit lamentable qui met aux prises depuis 1948 Palestiniens et sionistes, quelle mouche t’a piqué pour cette sortie pitoyable avec un discours pathétique dans sa dénégation. Tes allégations feraient se retourner dans leurs tombes tes amis Amran El Maleh et Jean Genet ; deux grands hommes qui étaient la probité même dans la défense d’une cause qu’ils estimaient juste. Presque en même temps que paraissait ton article dans Le Point, Roger Waters des Pink Floyd a livré avec ardeur un témoignage qui mérite notre respect et, dans les circonstances où la vidéo fut mise en ligne, c’était un acte de courage et de raison.
Cher ami ! Pas même une once de compassion pour le peuple palestinien. Cette rupture inouïe est pur désastre. Tu as eu le tort de légitimer l’inqualifiable en cherchant à monnayer je ne sais quel piètre et funeste projet au moment où Ghaza n’est plus qu’un champ de ruines et qu’Israël a décrété l’exil (encore un) d’une population martyrisée, ne laissant à celle-ci d’autre choix que le baluchon ou le linceul. Ces dépossédés que Tsahal qualifie de « sauvages » et « d’animaux » sont encore une fois sujets d’humiliation et d’éradication. Ce n’est pas digne d’un écrivain marocain, arabe, musulman de surcroit. Le vent ayant tourné, c’est le même opportunisme qui te fait tourner casaque, joignant ta voix à celle de la meute sioniste et raciste qui n’attendait que ce prétexte pour déverser, à qui mieux, sur les plateaux de télévision, sa haine des palestiniens et des arabes en général. Tu fais mieux qu’un Bernard Henri Lévy, qu’un Alain Finkielkraut, et toute cette horde qui distille son venin allègrement. Tu deviens pour eux un compagnon d’effort et de route. Le vent tournant, tu ne pouvais que suivre le mouvement pour garder ta suprême ambition personnelle de rester dans les bonnes grâces d’une France qui n’a pas eu de mal à allumer ton regard et l’orienter à sa guise. Tu le sais, et tu ne t’en plains pas.
Cher ami, puissions-nous te rafraîchir la mémoire en te rappelant ce poème du Discours du chameau, publié chez Maspero (1974) où tu disais à la page onze ceci :
« Je veille sur les enfants qui viennent de naître
Sur un lit de cendre
J’affirme
Légitime la violence du peuple palestinien
Etoile vagabonde
Espoir suprême »
À quoi bon la poésie si aucun mot n’est tenu au miracle. Ton poème est de circonstance. Il revêt hélas le caractère d’une imposture dictée par l’air du temps, assurément avant que tu ne sois adoubé par l’intelligentsia parisienne. On a du mal à croire que tu sois l’auteur des deux textes. Le second nous laisse pantois, faut-il te le redire. Que nous vaut ce revirement salace ? Et ce cynisme qui consiste à fuir ce qu’on est sans savoir pourquoi on y tombe, ni comment on en sort. Hélas, nous pensons que tu as manqué à un devoir, celui d’être fidèle à cette déclaration, si enflammée soit-elle. Les voiles aujourd’hui se déchirent. Certaines choses qu’on ne faisait que soupçonner apparaissent d’une manière sinistre. Nous voudrions donner des ailes à nos mots pour qu’ils aillent bien vite toquer à ta conscience, et nous ne pouvons croire que notre opinion soit à tes yeux de nulle valeur.