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BASCULEMENT, EFFONDREMENT ET RÉSILIENCE


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BASCULEMENT, EFFONDREMENT ET RÉSILIENCE

La mort avait sa place naturelle parmi nous. Depuis la nuit de vendredi 8 à samedi 9 de ce mois pas comme les autres, le terrible séisme dont elle a fait un ballet cruel et insoutenable, on ne la perçoit plus que comme un scandale gâtant maints endroits de la vie. L’évoquer dans ces termes, c’est lui trouver des accents très différents de ceux qui lui sont coutumiers. Meule constrictive, dévastatrice, l’homme ne peut fonder sur elle ses enchantements. Qu’elle pût apparaître sous cet aspect, elle ne pouvait que participer d’un monde innommable. À l’évidence, dans son triste anachronisme, elle frappe, ne classe pas les hommes, ne les répartit pas, n’évoque nulle raison. Mais comme personne n’y peut rien, le marasme continue et la faucheuse fait plutôt gaillarde figure dans une chorégraphie apocalyptique. Attestée même dans des lieux désertés, des havres de silence et de solitude là-haut dans les montagnes, il est difficile de lui trouver un seul argument. Force aveugle, elle est l’ennemie de la civilisation. Doit-on la prendre comme la seule issue, tragique mais nécessaire, ou comme la vision d’un cataclysme? Ainsi, les vols de lumière, les halos, les souffles, les sourires, nous ne savons par quel maléfice, avaient très vite disparus. Pour vivre encore, nous avons besoin de sentir là, en nous, comme une force vers quoi, dans ces heures noires, nous tourner. Comme si, seules, ces heures gonflées sont susceptibles de retour. À cette infidélité à la vie, le spectre de la mort nous envoie un signe d’annulation qui dit moins la plénitude que les palingénésies. Le séisme anéantit ses rivaux et part à l’aventure. Ses répliques lui ouvrent d’autres failles, prêtes à recommencer le même drame qui serait la répétition des précédents. Les ressentis, ici, se brouillent, se syncopent, se déchargent, ou se tendent et se déchirent. Le décor de l’intérieur est miroir de l’extérieur. Dehors la nuit est d’un noir étouffant. Les ténèbres se fraient un chemin dans nos têtes. Des ombres tremblent sur les murs fissurés. Par des interstices, de petites lumières parviennent à passer charriant des cris, des pleurs, des mots incompréhensibles, des corps qui s’agitent nerveusement. Tout échappe au contrôle. Hagards dans ce triste rush, nous renonçons à tout bien matériel quand bien même nos débandades aient provoqué un profond malaise, qu’elle aient même désorganisé et démoralisé toute la communauté pensant qu’elle a perdu tout espoir de découvrir une parcelle de vie. Nous détalons, saisis de vertige. Nous marchons sur les gravats, convaincus d’avoir sauvé nos misérables vies. Seuls les mots isolés peuvent encore nommer ce vacarme gigantesque qui n’a arrêté ses aiguilles infernales qu’après avoir eu son lot de victimes, tous âges confondus. Puis dans notre débâcle, devant le sentiment de mort imminente, nous pensons aux autres, aux rescapés, aux ensevelis, aux blessés, à la douleur des sinistrés. Notre élan de générosité est la seule réponse qui soit digne de nous. Puis, en peu de temps, nous sentons la stérilité de notre effort face au drame qui nous rend cataleptiques. Mais l’élan fraternel, la solidarité et notre inébranlable sincérité nous sauvent des assauts de la défiance et du délire. Et pendant ce temps-là, il y a cette idée irréversible qui fait croire que rien ne sera plus comme avant. Pourtant, nous ne vacillons pas; le chemin désormais est solide sous nos pas affermis. Nous occuperons ce « sursis » à reconstruire, sinon la vie n’aura aucun sens. Aux maux de la nature qui a vu son équilibre rompu en cette nuit de cauchemar, nous répondons, un peu tourmentés et sans nous méfier, que notre inépuisable résilience nous mènera vers les lendemains qui chantent. Qu’importe! Nous irons loin dans la voie de l’espoir qui est dans l’air, dans la mer, dans le ruisseau, dans la rivière, dans la mare, dans le puits, dans la cruche, dans le verre qui récompense la soif. Nous aspirons à n’être qu’une goutte d’eau pour s’engloutir à jamais dans l’océan des nôtres. À qui n’aurait pas entendu parler de la solidarité marocaine qui donne du plus profond d’elle-même à ce qu’il y a de plus profond en elle-même, on lui conseillerait d’apprécier cette façon d’être et de vivre, sans démordre si peu que ce soit de cet attachement qui fait fi de la surdité et de l’insipience de ceux qui louvoient et qui leurrent. Elle s’assume aujourd’hui dans sa propre authenticité, et partant, de la première dynastie à l’actuelle; jumelle, lucide, à pied d’oeuvre, nonobstant les difficultés pour retrouver et identifier les traces matérielles. Nous disposons maintenant d’assez de temps pour comprendre ce qui s’est passé, pour animer ce paysage du drame de notre ardeur, de notre espérance et de notre défi, de notre exultation enfin après avoir perdu la vérité des apparences.

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