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La littérature maghrébine du ghetto


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: Qu'est-ce que cela veut† dire?

Noureddine Bousfiha n'est pas seulement un poète qui a su modeler la langue de Racine, le ciseler pour se l'approprier et lui faire dire ce qu'il porte d'essentiel en lui. C'est aussi sus peintre qui s'attache, avec une infinie rigueur, à retrouver le chemin du réel. Il n'invente pas de symboles, mais sa démarche n'en est pas moins personnelle. Il ne craint pas de peindre loin des sentiers battus où trop souvent ses complaintes et se dé"voie un certain art en cette fin de" siècle. Son inspiration, il la prise -en apparence- dans les sources du quotidien. Mais en apparence seulement. Car elle vient en fait des profondeurs de l'homme. En ce sens, Bousfiha est un poète important du Maghreb avec lequel il faut apprendre à compter. Dans sa poésie, les mots vibrent, riches d'éclats, de sens nouveau et de cette lumière, à nulle autre pareille, qui baigne sa peinture paisible et fraternelle. Après avoir étudié en France, il vit aujourd'hui au Maroc où il enseigne la littérature française à l'université de Marrakech. Nous l'avons rencontré à Paris à l'occasion de la parution de "Juste avant l'oubli", aux Editions Caractères de Bruno Durocher.
Kébir M. Ammi: comment êtes-vous venu à la poésie, vous qui avez d'abord été longtemps peintre?
Noureddine Bousfiha: C'est une histoire d'espace, en fait.
K.M.A: Mais encore?
N.B: Quand je suis venu terminer mes études à Paris, il y a quelques années, j'avais, comme tous les étudiants, une petite chambre où il n'y avait pas beaucoup d'espace pour peindre. J'ai alors commencé à écrire de la poésie.
K.M.A: Autrement dit, la poésie est née d'un manque d'espace. N.B. : Et puis, j'y ai pris goût au point de ne plus pouvoir m'en passer. Aujourd'hui, à Marrakech où j'exerce mon métier, j'ai de l'espace pour peindre, mais je continue d'écrire de la poésie.
K.M.A: Cela fait déjà onze ans que vous avez publié votre premier recueil Safari au sud d'une mémoire. Comment voyez-vous tout ce temps parcouru?
N.B: C'est un long voyage. Bien des choses ont changé depuis. Safari est un parcours vécu de l'intérieur. Un recueil de chair et de sang qui a cerné les grandes interrogations qui sont celles de la souffrance humaine. C'est pourquoi certains textes nous plongent dans une atmosphère démoniaque, particulièrement cruelle.
K.M.A: Il n'empêche que la dimension esthétique est une constante du premier au dernier texte. Vous semblez en faire un souci majeur tout au long du recueil.
N.B: On ne peut pas, me semble-t-il, mener deux combats à la fois; politique et esthétique. Il faut opérer un choix. C'est une étape décisive dans un travail. Pour ma part, cela m'a obligé à prendre la poésie au sérieux.
K.M.A: Vous semblez depuis, être beaucoup interrogé sur la création littéraire.
N.B: C'est une nécessité. Ça ne peut pas évoluer comme si de rien n'était. K.M.A:On ne peut avoir le sentiment, en vous lisant aujourd'hui, que votre écriture s'est transformée.
N.B: Disons que j'écris différemment.
K.M.A:Juste avant l'oubli apparaît comme une recueil de la maturité. On décèle une émancipation des choses. On dirait que votre poésie a évolué, dans ce recueil, vers une esthétique qui a trouvé une fin en soi et qui contraste avec ce qu'on appellerait une poésie "figurative". Cette poésie qui, au Maroc, dans les années soixante a trouvé sa plus forte expression dans la revue "Souffles" de Abdellatif Lâabi.
N.B:Ce dernier recueil contient des textes plus personnels et plus secrets. Mon ambition permanente était qu'ils saisissent des moments intenses, inédits. J'ai privilégié un seul pôle: la femme en relation avec l'univers. C'est un livre ouvert où le poète se raconte, dit le sens même de son aventure où les illustrations de mon amie Mechtilt sont en parfaite" harmonie avec les textes. Je une pouvais rêver mieux. Je retrouve dans le trait de cette artiste l'extrême beauté des corps comme je les rêvais. K.M.A: cette femme que vous célébrez dans vos textes semble plus proche de celles qu'ont chantée Aragon, et Eluard que des thèmes qu'on retrouve aujourd'hui dans la poésie marocaine. En d'autres termes, disons que votre poésie n'est pas spécifiquement marocaine.
N.B: l'idéal serait qu'elle soit ouverte sur le monde. J'essaie, autant qu'il m'est possible, de trouver un chemin nouveau, de me sortir des sentiers battus. En un mot, il faut sortir du ghetto dans lequel la littérature maghrébine" s'est confinée.
K.M.A: Où trouvez-vous pour cela vos sources d'inspiration?
N.B: Dans les parfums, les couleurs, les bruits, le silence... K.M.A: La langue ne vous impose-t-elle pas une route à suivre? N.B: Il faut de toute manière s'affranchir.
K.M.A: Qu'est-ce que cela veut dire?
N.B: Il faut travailler continuellement la langue pour en prendre possession.
K.M.A: Mais les mots ont quelquefois un pouvoir qui ensorcèle.
N.B: Le travail du poète est de leur enlever ce pouvoir d'envoûtement pour leur restituer le sien propre.
K.M.A: c'est en quelque sorte une lutte acharnée qui oppose le poète à la langue de travail. Qu'en est-il dans votre cas précis, avec cette langue française dans laquelle vous écrivez?
N.B: J'écris dans un français qui n'es pas académique en fait. Je le fais traverser par un imaginaire qui n'est pas le sien.
K.M.A: Par choix?
N.B: Par choix et par nécessité.
K.M.A: Qu'est-ce que la nécessité pour un poète quand une langue s'impose à lui? N.B: Le pouvoir de dire un imaginaire qui n'est pas spécifiquement français mais qui doit passer par cette langue. L'urgence d'exprimer une sensibilité autre, des tremblements qui n'appartiennent pas en propre à la langue de Molière. C'est là, le travail dont nous parlions tout à l'heure.
K.M.A: Il faut que le poète retrouve la virginité première des mots, en somme. Mais en même temps, il y a chez vous une fascination du verbe qu'on relevait déjà dans "Safari au sud d'une mémoire".
N.B: Cela bien peut-être de mes lectures... Et j'en suis conscient.
K.M.A: Quels sont les poètes que vous lisez?
N.B: Ils sont nombreux, mais ceux qui m'accompagnent le plus souvent sont Lautréamont et Saint-John Perse. "Les Chants de Maldoror" est un livre incomparable. Je le lis en permanence. J'y retrouve à chaque lecture une quantité de choses nouvelles. Il m'apporte énormément. Lautréamont est le premier à avoir fait participer le lecteur à son texte. Le dialogue est important chez lui. De plus, il a opéré un travail particulièrement intéressant sur la langue. Nous avons également un très grand poète au Maghreb. On ne le dira jamais assez. C'est le regretté Kateb Yacine. Il reste le plus grand.
K.M.A: Et la peinture dans tout cela?
N.B: elle continue son petit bon-homme de chemin.
K.M.A: Vous préparez une exposition...
N.B: Elle devait avoir lieu il y a quelques mois déjà. Mais elle a été retardée à cause des évènements du Golfe. Elle va finalement avoir lieu à Marrakech très bientôt.
K/M.A: Comment voyez-vous votre peinture maintenant qu'il y a la poésie qui vient se mettre entre vous?
N.B: Je la vois comme une halte de lumière où l'on vit à l'intérieur de l'invraisemblable. C'est une recherche à travers les formes, les couleurs, les matériaux. La peinture permet de mieux voir et de mieux sentir. Je la veux comme une écoute paisible et fraternelle.

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