« Dès que vous avez compris qu’il est partout difficile de vivre,
alors naît la poésie et advient la peinture»
Natsume Sôseki
Mohamed Qannibou sait que l’œil, première arme du peintre, est notre unique fenêtre et le seul outil pour appréhender ce qui nous entoure. Il masque les visages et les corps, pour mieux révéler la force et le mouvement qui les animent. Il y a dans son œuvre, qu’on croit pouvoir lire d’emblée, un regard sous forme d’interrogations complexes.
La peinture de Mohamed Qannibou est une autre façon de considérer le monde. De lui demander des comptes.
Le monde, c’est vous et c’est moi. Et c’est tous ces bruits et ces violences autour de nous que le peintre transforme en visages et en corps pour les soumettre au feu de ses questions.
On voit et sent la main du peintre se battre avec des formes invisibles. C’est cela qui confère sa puissance à son œuvre et qui entre immédiatement en résonance avec des échos au plus profond de nous
.
L’œuvre de Mohamed Qannibou est toute entière dans cette main furtive et obstinée qui avance à petits pas dans les dédales et les ténèbres d’une toile. Elle porte en elle l’invisible poids du monde.
Visages et Corps se meuvent sous l’œil qui a pouvoir de les regarder.
L’univers de Mohamed Qannibou n’est désert qu’en apparence. Le peintre a cette faculté d’insinuer la vie là où à première vue on peut croire qu’il n’y a que le silence et le vide. Il faut regarder - les visages et les corps qu’il peint - avec ses convictions, avec ses rêves, avec ses blessures… Il faut regarder avec son horizon - et avec son corps - pour voir les nombreuses questions portées en filigrane dans le silence tonitruant des visages.
Le peintre sait que nous sommes reclus dans la nuit de nos interrogations et que seul l’art permet d’échapper aux prisons de l’âme.
La peinture de Mohamed Qannibou est une relecture de ce qui nous échappe et qui n’est rien que le commencement de ce que nous sommes. C’est une redécouverte du monde qu’il entreprend en lieu et place de nos sens.
Il passe au crible de sa peinture cette kyrielle de brutalités et de violences qui nous déshumanisent. Il songe aux femmes et aux hommes qui refusent de se mettre à genoux. Aux femmes et aux hommes qu’on contraint de renoncer à leurs droits. À leur dignité. À leur part d’humanité.
Mohamed Qannibou dit l’humiliation qui nous écrase face à des forces - invisibles parfois - qui se croient tout permis. C’est cela, le cri livré par ses visages bâillonnés et ses corps meurtris.
Si les visages de Modigliani sont l’expression d’un refus, ceux de Mohamed Qannibou vont chercher leur raison, dans l’insaisissable continent - l’inconscient - qui est le socle d’une part de nous-mêmes. Son art est une relecture - de soi et des autres - plus radicale, et résolument plus tranchée, dans le trait.
Il y a dans la géométrie de son trait une célébration implicite des peintres qui l’ont forcément marqué, à l’instar de Cézanne. Il y a comme un désir chez Mohamed Qannibou de démasquer les auteurs de notre immense tragédie et de nous accorder un répit dans l’inlassable bataille face aux puissants qui nous ignorent. Il y a un foisonnement de couleurs, qui portent une incommensurable joie contrariée dans leurs plus lointains replis.
Mohamed Qannibou est un peintre sûr de lui mais humble, qui n’oublie jamais qui il est ni d’où il vient. Il peint à hauteur de nos rêves et de notre horizon confisqués. À hauteur de nos blessures pour nous rendre un peu de notre humanité.