À la mémoire de Maria Bouragba
Omar Bouragba regagne les cimaises…. Si tant est qu’il les ait jamais quittées. Car ses explorations dans l’univers de l’art étaient, encore et toujours, explorations de soi. Ses toiles, alors, ne pouvaient être que des relais qui s’inséraient tout naturellement dans une série d’oeuvres vouées à l’interrogation de tous les possibles. Chaque artiste crée son espace, découvre son univers, établit ses demeures dont les fenêtres en arc en ciel s’ouvrent sur le grand jour. Bouragba nous fournit l’occasion de livrer ici un point de vue, et tant mieux s’il entraîne d’ores et déjà l’adhésion à tout ce qui exprime son expérience picturale qui occupe une place privilégiée. Il serait peut-être facile de montrer que son langage évolue, qu’il se purifie et se distingue nettement. Cela paraît évident lorsqu’on s’arrête au parcours de l’artiste, parcours fait de strates visibles sur ligne continue. Pour une grande part, on ne peut ne pas remarquer que sa culture artistique s’enrichie de station en station, de fulguration en fulguration. Et on aura tort de croire que l’oeuvre récente est montée sur un schéma qui est entrain de prendre ses distances avec les oeuvres des débuts, qui du reste ne manquaient pas d’engouement. Nous pensons même que leur éclat n’a jamais faibli à nos yeux. Il serait même présomptueux de dissocier les phases majeures de cette oeuvre qui continue d’exercer à la fois une fraîcheur intacte, et un sens de l’illumination. Sa vertu est bien là, dans cette production qui avait sûrement besoin d’une marge d’air.
L’étape qui nous intéresse aujourd’hui, conforte l’idée d’une inspiration inaltérable mettant en place un univers concret nous donnant à voir ou plus exactement à imaginer au-delà de ce qui est donné à voir. Le fruit d’un tel travail trahit chez lui une curiosité insatiable de la vie et va de pair avec sa conception de l’art et sa vision personnelle. Ainsi, Bouragba livre-t-il d’autres feux qui conviennent aux nouveaux rapports qu’il a engagés avec son art. Il revendiquerait même son droit à la mobilité, raison de lui devoir le respect le plus sacré. Bien assuré de ses moyens, le voilà qui nous revient avec une nouvelle partition où l’esthétique et la technique se mêlent dans une trame à nulle autre pareille. Le choix des tableaux a cette originalité de poser l’idée d’un recommencement sans fin. On y retrouve certes les toiles les plus marquantes, des années dix-neuf à vingt et un. Et ce sont vraisemblablement aussi celles qu’aurait sélectionnées pour son plaisir esthétique tout amateur piqué d’art. Toutefois, nous pensons que les idées et les variations peuvent faire croire ici à des semaines et des mois d’intervalle dans la réflexion. Les tonalités sans parti pris pour tels ou tels tons laissent parfois le champ libre à une retenue de la couleur qui, loin de faire reculer le trait, participe au contraire à l’organisation d’un espace où l’on retrouve la légèreté de touche et parfois les entrelacs agiles dont les traces ondulantes ouvrent celles de l’imaginaire.
Dans ces oeuvres en marge d’une recherche dont le labeur ne dissimule en rien la plénitude créatrice, le peintre tente d’enfermer l’infini dans une vision tout à fait cosmique. Édifiant qu’il soit, on pouvait tout craindre pour ce travail : fautes de ton, répétition, lyrisme déplacé. Et pourtant, il n’en est rien. Sur papier marouflé ou sur toile, il garde la même justesse. L’ensemble atteste d’une évolution où transparaît désormais un style, pour ne pas dire une griffe. Le tout est servi par plusieurs techniques auxquelles seul l’artiste leur accorde une place dans la recherche. Il convient d’ailleurs de louer leur heureux apport dont l’harmonieuse unité n’est pas le moindre mérite. Quant à l’expression elle-même, si elle est ouverture et affirmation, elle ne dédaigne pas d’être prise en tant qu’allégation de tout immédiat; celui-là même qui pose en dedans sa masse, une profondeur distincte. Car c’est par les voies d’une créativité étroitement contrôlée que Bouragba incline de plus en plus à élargir son spectre dans des formes d’une conception particulière où il ne cesse de nous proposer les fragments fortement structurés d’une oeuvre pleine de beauté et de mystères; une oeuvre à la mesure de nos attentes et qui rend compte de tout. L’un des traits les plus singuliers de cette peinture, c’est l’innocence avec laquelle l’artiste aborde ses sujets. Le lyrisme n’est pas en reste, il devient ici une nécessité qui enchante. Tout compte fait, une leçon d’intransigeance nous est donnée, et qui ne va pas sans un air qui fait confiance au savoir-faire de l’artiste.
Nul plus que lui ne sait le prix du labeur où il prend largement ses forces. Ainsi ne vit-il que pour son art qui est pour lui une grâce ailée volant à l’encontre de qui la mérite; un art à qui il est donné de nous offrir de belles choses, un art à ce point capable de nous émouvoir. Il y a ce qui se sent comme il y a ce qui se pense. Les thèmes, la relation de l’oeuvre à d’autres oeuvres, la composition ont plus à nous dire. Nous pouvons dès lors affirmer que cet art vit de sa part explicite. Et c’est le mérite de Bouragba. Était-il né pour ce destin? Assurément oui. Ne consacre-t-il pas sa vie à la peinture, à la recherche? Forcément oui. S’il n’abandonne pas, il se garde de toute suffisance. Voilà ses principes essentiels.